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retourner en exil (19 août). La débâcle fut immédiate ; tout ce qui comptait dans Paris députa au roi pour le supplier de revenir. Retz, très calmé depuis qu’il tenait son chapeau, y fut l’un des premiers, à la tête de son clergé. Monsieur, et ce fut le grand signe, jugea le moment venu d’abandonner ses amis et négocia en dessous avec la cour. Condé, voyant que tout lui échappait, même ses soldats, qui jetaient leurs armes et s’en allaient, essaya aussi de faire sa paix et demanda encore trop cher ; l’affaire manqua. Sa situation devenait critique ; il n’avait plus guère avec lui que Mademoiselle, pleine d’honneur et qui fut fidèle jusqu’au bout, mais pleine aussi d’illusions et de chimères.

Dans sa conviction qu’elle était un grand général, elle imaginait des choses insensées, comme de lever à ses frais une armée qui lui appartiendrait ; on l’appellerait l’armée de Mademoiselle. Il se trouverait bien quelqu’un pour lui livrer une place forte, ou même deux places fortes. Le roi serait obligé d’en venir à composition avec sa grande cousine, qui trouverait la couronne fermée au fond de son pot-au-lait, à moins cependant qu’elle n’eût épousé M. le Prince d’ici là, car la santé de Mme la Princesse permettait de s’attendre à tout ; en quelques semaines, elle avait été deux fois à l’extrémité. La première fois, la nouvelle s’en répandit à Paris dans la soirée : « — Je me fus promener chez Renard : M. le Prince y était ; nous fîmes deux tours d’allée, sans nous dire un seul mot ; je crus qu’il pensait que tout le monde le regardait, et j’avais la même pensée que lui ;… ainsi nous étions tous deux fort embarrassés. » Les gens faisaient leur cour à Mademoiselle en « remariant » M. le Prince devant elle ; un peu plus, elle aurait reçu les complimens.

Elle croyait sans y croire à ces contes de fées. Dans le fond, Mademoiselle sentait approcher la fin de son héroïnat, si l’on me passe le mot, et n’en était que plus ardente à jouir de son reste. Elle se donnait en spectacle aux Parisiens, entourée de « ses compagnies, » levées et habillées de ses deniers en attendant le reste de « son armée, » et s’amusait comme une enfant du bruit des trompettes et du luxe des uniformes. Elle allait dîner au quartier général de M. le Prince, hors de Paris, et passait une journée inoubliable. « L’homme du monde le plus, malpropre » avait fait sa barbe et mis du linge blanc en son honneur ; la chose fut très remarquée. Condé et son état-major