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Le peuple la secondait de tout son bon cœur. Elle fut touchée de son empressement à soigner les blessés et à donner du sien pour réconforter les autres. Les bourgeois, devenus plus qu’à demi « mazarins » par dégoût du désordre, restaient indifférens, regardaient en badauds, et quelques-uns même riaient, ou tiraillaient des remparts sur les Frondeurs. Mademoiselle ne bougea de son poste que pour monter un instant sur la Bastille, où, ayant pris une lunette, elle vit l’ennemi manœuvrer pour couper M. le Prince de la porte Saint-Antoine. Elle laissa l’ordre de canonner l’armée royale et revint jouir de sa gloire : elle avait sauvé Condé deux fois dans la même journée. Des ovations sans fin furent sa récompense. L’armée en retraite lui criait : « Vous êtes notre libératrice. » Condé reconnaissant la portait aux nues, et, le soir au Luxembourg, le lendemain aux Tuileries, après une. nuit d’insomnie passée à avoir « tous ces pauvres morts dans la tête, » Mademoiselle s’enivra d’un encens dont la douceur l’empêchait de « faire les réflexions… qui auraient pu troubler sa joie. » Le seul qui lui battit froid fut encore son père, comme au retour d’Orléans. Dans l’après-midi, Monsieur, croyant le danger passé et guéri subitement par cette nouvelle, était accouru embrasser M. le Prince rue Saint-Antoine et se faire raconter la bataille, de l’air du monde le plus « riant » et le plus à son aise. Le soir, devant la réception triomphale faite à sa fille, il fut guindé : — « J’attribuai cela, écrit celle-ci, au repentir qu’il devait avoir que j’eusse fait ce qu’il devait faire. » Mademoiselle le flattait ; Monsieur ne regrettait que de lui avoir laissé prendre trop d’importance.

La peur l’emportait chaque fois sur ce regret. Le 4 juillet, il y avait eu à l’Hôtel de ville une grande réunion des représentant de la bourgeoisie parisienne, pour décider de la ligne à suivre. Les Princes s’y étaient rendus, persuadés que l’assemblée leur offrirait le pouvoir. Ils n’entendirent parler que de se raccommoder avec la royauté, et se retirèrent pleins d’humeur. La place de Grève était couverte d’une populace mélangée de soldats, avec leurs officiers. On a prétendu[1] que les Princes, ou des gens de leur suite, avaient excité la foule au passage. Quoi qu’il en soit, des coups de feu partirent derrière eux, et ils poursuivirent leur chemin comme si de rien n’était.

  1. Cf., notamment, les Mémoires de Conrart, et les Registres de l’Hôtel de ville.