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les emporterait avec le reste, si la royauté ne parvenait pas à enrayer le mouvement. La canaille était maîtresse de la rue, et son règne est toujours violent. Elle avait, en 1652, ses Marat et ses Hébert, qui la provoquaient par leurs écrits à des massacres en masse. Elle avait ses Maillard, qui la menaient piller et assommer les suspects et se moquaient de ce qu’en diraient les princes. Des chefs d’un jour, insolens et haineux, surgissaient avec une émeute et disparaissaient avec elle. Paris avait le même aspect trouble et menaçant qu’aux approches de la Terreur ; l’accablement et l’épouvante gagnaient les laborieux et les pacifiques, et la bourgeoisie s’opposait de toutes ses forces à l’entrée des troupes de Condé, dans la pensée que la ville serait mise à sac par ces soudards. On en était là, quand l’armée du roi et celle de la Fronde, après des combats aux issues diverses, engagèrent sous Paris la bataille où Mademoiselle acheva de s’illustrer.

Elle était alors « comme la reine de Paris. » Les Tuileries étaient devenues le centre politique et mondain de la France : « J’étais honorée au dernier point, et en grande considération. » Dans le fond, et elle s’en apercevait bien, c’était la répétition de l’affaire d’Orléans ; à Mademoiselle les hommages et les flatteries, à d’autres la confiance et l’influence ; on ne la trouvait ni discrète ni de bon conseil. Monsieur lui avait toujours tout caché. Condé, avec les dehors d’une entière ouverture, ne lui disait jamais l’essentiel ; il allait tenir ses conciliabules chez la belle duchesse de Châtillon, qui était en train de reléguer Mmes de Longueville et de Chevreuse au deuxième plan[1], et avait failli raccommoder les Princes avec la Cour en dehors de Mademoiselle. L’affaire ayant manqué, cette dernière tomba un soir, dans le Cours-la-Reine, au milieu d’une armée en marche. Les troupes de Condé, pressées par Turenne, contournaient Paris en suivant les remparts, le long de ce qui est aujourd’hui la place de la Concorde et les grands boulevards.

Mademoiselle considéra ce défilé en causant avec un officier. Elle s’en vint le regarder encore de la terrasse de Renard[2], et rentra inquiète ; l’armée marchait « dans le plus grand désordre du monde[3], » et en prêtant le flanc. « Toutes les troupes,

  1. Cf. La Jeuneuse du maréchal de Luxembourg, par M. Pierre de Ségur.
  2. Nous rappelons que le jardin de Renard était comme un prolongement de celui des Tuileries.
  3. Lettre de Fouquet à Mazarin.