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Paris pour avertir les gens de la Cour. Ceux-ci envoyaient à leur tour chez leurs parens et amis, et chacun se hâtait, à moitié endormi, vers le Cours-la-Reine, les hommes boutonnés de travers, les femmes en coiffes de nuit et traînant des enfans, tous effarés et se demandant ce qu’on allait faire de Paris pour le fuir ainsi. Mademoiselle fut parmi les derniers arrivans. Après avoir été « toute troublée de joie de voir qu’ils allaient faire une faute et d’être spectatrice des misères qu’elle leur causerait, » l’ennui du dérangement avait pris le dessus et elle était d’une humeur exécrable, grognant parce qu’elle avait froid, parce qu’elle était mal assise, et cherchant toutes les occasions d’être désagréable à la reine. La lune se coucha sur cette cour fagotée et en détresse, et le jour ne paraissait pas encore. On partit dans le noir, cahin-caha, pour Saint-Germain. La gaieté de la reine contrastait avec l’anxiété générale : « — Jamais, dit sa nièce, je n’ai vu une créature si gaie qu’elle était : quand elle aurait gagné une bataille, pris Paris et fait pendre tous ceux qui lui auraient déplu, elle ne l’aurait pas plus été. »

A Saint-Germain, l’on ne trouva que les quatre murs, et la journée sembla longue. Elle se passa à questionner tous ceux qui arrivaient de Paris. On apprit ainsi que personne n’aurait ses meubles ni ses malles ; le peuple, dans son indignation, avait remisé de force les chariots du roi et brisé les autres, ne faisant d’exception que pour une voiture des Tuileries, par laquelle Mademoiselle reçut des matelas et un peu de linge. Les cinq ou six principaux de la Cour se partagèrent les lits de camp du cardinal et quelque literie apportée dans les carrosses ; le reste dormit sur de la paille ou à même le plancher. Les dames n’avaient pas de femmes de chambre, et c’était ce qui leur paraissait le plus dur.

Mademoiselle se piquait d’être « une créature… fort au-dessus des bagatelles. » Elle recouvra sa bonne humeur devant le désarroi général, d’autant que sa belle-mère, l’ex-héroïne, ne cessait de gémir : « Je me couchai dans une fort belle chambre,… bien peinte, bien dorée et grande, avec peu de feu et point de vitres, ni de fenêtres, ce qui n’est pas agréable au mois de janvier. Mes matelas étaient par terre, et ma sœur, qui n’avait point de lit, coucha avec moi : il fallait chanter pour l’endormir, et son somme ne durait pas longtemps ; elle troubla fort le mien ; elle se tournait, me sentait auprès d’elle, se réveillait et criait