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sa bourse et dans la valeur de ses charges par des édits impolitiques, risqua une tentative dont le succès aurait changé le cours de notre histoire. Les yeux tournés vers l’Angleterre, il essaya de donner à la France une manière de constitution, et de marcher, malgré la différence des origines, sur les traces de la Chambre des communes. Des magistrats et des fonctionnaires, ayant acheté ou hérité leurs charges, cherchaient à s’emparer du pouvoir législatif et financier, afin, disaient-ils, de ramener et réduire l’autorité royale « à ce qu’elle doit faire pour bien régner[1], » et la nation les applaudissait, les uns parce qu’ils souhaitaient sincèrement leur succès, les autres dans l’espoir de pécher en eau trouble.

Au nombre de ces dernières était la Grande Mademoiselle. Elle venait d’avoir l’idée burlesque d’épouser le petit Louis XIV. Il avait dix ans, elle en avait vingt et un, l’air « brusque et délibéré, » un genre de beauté robuste qui ne la rajeunissait pas. Pour cet enfant qui jouait la veille encore sur ses genoux, Mademoiselle était une parente respectable et intimidante, qu’il redoutait plus qu’il ne l’aimait, et elle s’en doutait bien un peu ; les flatteurs avaient beau lui assurer « qu’on ne regardait jamais (aux âges) entre personnes de cette élévation[2], » elle devinait qu’elle n’aurait ce petit mari-là que par la force, et ses opinions politiques en étaient toutes chancelantes. Elle voyait les entreprises du Parlement avec d’autres yeux, selon qu’elle envisageait l’utilité des troubles pour mener à bien son projet, ou l’inconvénient d’affaiblir une couronne qui serait peut-être sienne. Ses Mémoires ont gardé la trace de ce conflit intérieur. Elle approuve à une page les réformes du Parlement, et s’indigne à la page suivante contre des sujets assez hardis pour « borner l’autorité du roi. » Elle adopte toutes les maximes qui découlent du droit divin, et elle est en joie à chaque faute de la cour.

Celle-ci accumulait les erreurs, et c’était presque inévitable, tant la situation était fausse. Mariée ou non, Anne d’Autriche laissait prendre un tour déplaisant à la faveur de Mazarin. Ce n’était pas lui qui la protégeait ; c’était elle qui le défendait, et avec une sorte de furie. De lui, tout était charmant ; les yeux de la reine, son sourire, le disaient aux assistans. Pour lui, elle supportait tout ; elle bravait la gêne, pourvu qu’il vécût parmi les

  1. André d’Ormesson, en note du Journal d’Olivier d’Ormesson.
  2. Lenet, Mémoires.