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Anne d’Autriche, « comme la plus vaillante[1], » resta la dernière pour couvrir la fuite de son ministre ; elle se promenait dans Paris pour détourner l’attention. Dans l’après-midi, elle aussi disparut par la route de Rueil.


II

Cette fuite affola Paris. On crut que la reine, une fois en sûreté, ne penserait qu’à se venger des barricades. Les affaires s’arrêtèrent, le bourgeois cacha son argent, les gens de la cour partirent en hâte, emportant leur mobilier, et les mauvaises figures des jours de troubles se répandirent par les rues. Des voitures de déménagement furent pillées. Ce fut ensuite le tour des boulangeries. Le Parlement avait pris l’autorité en main ; mais ses séances devenaient aussi orageuses que celles de notre Chambre des députés. Les questions de personnes et les intérêts de coteries y avaient fait leur entrée avec la politique, et Olivier d’Ormesson écrivait tristement dès le 23 septembre, après une scène déplorable : — « Le bien public ne servait plus que de prétexte pour venger les injures particulières. »

Mademoiselle considérait les événemens avec des sentimens mélangés. La première Fronde n’était pas pour plaire à une personne de son humeur, aussi sûre que les rois sont les vicaires de Dieu sur la terre. Au fond, elle ne vit qu’une aventure de « brouillons » dans ce qui était un coup de désespoir, provoqué par l’excès de la détresse publique. La France avait été riche au siècle précédent, et maintenant elle se mourait de misère, à cause d’un système de finances fondé sur l’usure. L’Etat dépensait sans compter, empruntait à des taux exorbitans, et se libérait en cédant les impôts à ses banquiers, les « traitans, » qui les levaient à main année et en vrais chefs de brigands. Après leur passage, le laboureur dépouillé de tout, n’ayant plus ni bestiaux, ni charrue, ni lit pour coucher, ni pain, ni rien, n’avait plus qu’à s’en aller dans les bois se faire brigand à son tour.

Chaque année un lambeau de la France retombait ainsi en friche, et, contre ces iniquités, le pays était sans recours. Ce fut alors que la plainte douloureuse du peuple suscita les Barillon et les Broussel, et que le Parlement, atteint lui-même dans

  1. Motteville.