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Notre-Dame, l’Hôtel-Dieu et l’amas d’édifices dénommé le Palais, séjour du Parlement et de la Bourse, immense bazar dont les galeries à boutiques étaient le rendez-vous des flâneurs et des nouvellistes. Un peu au-dessous du Palais, le Pont-Neuf grouillait de marchands ambulans, de bateleurs, de charlatans et de filous, de badauds regardant une parade, de pauvres diables en train de se faire arracher une dent, mettre une jambe de bois ou un œil de verre. Toutes les émotions populaires partaient de la Seine. Elle était une reine ; nous en avons fait un égout.

Paris était déjà la ville cosmopolite arrangée pour les étrangers, celle qu’ils appelaient « la grande hôtellerie, » la seule en Europe où l’on vous meublât un palais « en moins de deux heures, » où l’on vous servît « en moins d’une heure » un dîner de cent couverts à vingt écus par tête. Cette puissante capitale était cependant, sous bien des rapports, dans l’état de barbarie. Elle n’était pas éclairée, pas balayée, remplie d’une boue noire et infecte : les habitans vidaient tout par les fenêtres. A peine s’il existait une police, et la ville était semée de « lieux d’asile, » survivance du moyen âge, qui servaient de retraites aux malfaiteurs. Le duc d’Angoulême, bâtard de Charles IX, envoyait ses domestiques se payer de leurs gages aux dépens des passans et les recueillait dans son hôtel ; il possédait le droit d’asile. Le duc de Beaufort envoyait les siens voler pour son propre compte. Des bourgeois en ayant arrêté quelques-uns, il les réclama et prétendit les faire indemniser.

Le caractère de la population parisienne, qui se renouvelle pourtant si vite, n’a pas changé depuis trois cents ans : « — Les vrais Parisiens, écrivait un contemporain de Mademoiselle, aiment le travail, la nouveauté des choses, les changemens des modes d’habits et même d’affaires, fort pieux, crédules et point. ivrognes, civils aux étrangers et inconnus[1]. » Otez la piété et ajoutez l’absinthe, mère de folie, vous aurez le Parisien d’à présent, toujours laborieux, toujours mobile, toujours crédule surtout ; il traite la religion de superstition, mais il a foi aux systèmes, aux panacées, aux grands mots, aux grands hommes vrais ou taux, il croit encore aux révolutions. En revanche, il est toujours prêt, comme aux siècles passés, à se faire tuer pour une idée, pour un Broussel, pour bien moins qu’un Broussel. Ce

  1. Gomboust.