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autres huitièmes. Il n’y a guère de gouvernement plus oligarchique.

Mais ce n’est pas tout. Ces députés qui sont nommés par un si petit nombre de citoyens, ces députés oligarchiques, forment une oligarchie dans l’oligarchie. Ils ne s’occupent pas de l’opinion de leurs commettans. Ils s’occupent de la leur. En 1789, la nation, paroisse par paroisse, avait rédigé ses vœux, ses idées, ses volontés. C’étaient les Cahiers. Les cahiers, à les prendre en moyenne, réclamaient une constitution ferme et claire, des lois fixes et de l’ordre dans les finances. Rien de plus. Les constituans auraient dû voir dans les Cahiers des mandats moralement impératifs. Ils y virent un fatras négligeable et le négligèrent absolument. M. Aulard cite à ce propos l’opinion du constituant Faulcon. Elle est précieuse ; elle a toute la désinvolture de l’ancien régime : « En vérité, aujourd’hui que depuis deux ans l’horizon de nos lumières s’est si prodigieusement agrandi, comment peut-on avoir encore l’impudeur de soutenir que nous devions poser les bases d’une constitution libre sur des principes qui avaient été posés sous la verge et dans la peur du despotisme ? Etaient-ce donc des hommes courbés partout sous le joug de toutes les oppressions qui pouvaient s’énoncer avec une entière franchise ?… » Nous voyons encore le journaliste Le Hodey nous dire : « L’Assemblée regarde les Cahiers comme un conte de fées et rarement l’on peut s’empêcher de rire quand un député veut en argumenter. » De fait, quand ils le font, ils s’en excusent. Le marquis de Foucauld-Lardimalie dit en souriant : « Je suis forcé de vous citer mon malheureux cahier… »

Très vite, M. Aulard le fait remarquer, ce ne furent plus que « les réactionnaires qui alléguaient les Cahiers et qui les objectaient aux révolutionnaires. » Je le crois assez ; mais cela veut dire que les constituans dépassaient leur mandat et faisaient surtout ce qu’on ne leur avait aucunement commandé de faire. Ils se considéraient, non pas comme chargés de rédiger en lois la pensée générale de leurs commettans, mais comme chargés de penser pour la France et de la manier selon leurs pensées propres. C’est éminemment aristocratique, et, sous prétexte de remplacer la souveraineté royale par la souveraineté populaire, on remplaçait souveraineté royale et souveraineté nationale par la souveraineté parlementaire. On a continué depuis ; et c’est la raison pourquoi il ne faut pas trop s’étonner qu’il y ait