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C’est ce qu’un penseur contemporain définissait naguère dans cette formule admirable : « il est moins important de socialiser les biens que de socialiser les esprits. » La démocratie tend à l’un et à l’autre de ces deux buts : par le développement logique de l’idée d’égalité, elle tend à la socialisation des biens ; par le développement logique de l’idée de souveraineté populaire, elle tend à la socialisation des esprits.

C’est ce que Rousseau indiquait si lumineusement quand il disait : « Ce fut dans ces circonstances que Jésus vint établir sur la terre un royaume spirituel, ce qui, séparant le système théologique du système politique, fît que l’Etat cessa d’être un et causa les divisions intestines qui n’ont jamais cessé d’agiter les peuples chrétiens… Il a résulté de cette double puissance un perpétuel conflit de juridiction qui a rendu toute bonne politie impossible dans les États chrétiens… Mahomet eut des vues très saines ; il lia bien son système politique, et son gouvernement fut exactement un et bon en cela… Il y a une sorte de religion bizarre, qui, donnant aux hommes deux législations, deux chefs, deux patries, les soumet à des devoirs contradictoires. Telle est la religion des Lamas, telle est celle des Japonais, tel est le christianisme romain. »

Ici Voltaire est parfaitement d’accord avec Rousseau et c’est le seul point où il le soit. La seule idée nette qu’il ait en politique est qu’il ne doit pas y avoir deux pouvoirs, mais un seul, ramassé dans les mêmes mains, celles du souverain laïque :


Qui conduit des soldats peut gouverner des prêtres.
Marc-Aurèle et Trajan mêlaient au Champ de Mars
Le bonnet de pontife au bandeau des Césars.


« Nous ne citerons jamais plus les deux puissances, parce qu’il ne peut en exister qu’une : celle du roi dans une monarchie, celle de la nation dans une république. » Ce qui l’amène une fois, tant est grande la puissance de la logique, à trouver bon même le gouvernement romain à Rome ; car, enfin, les deux pouvoirs y sont confondus et c’est l’essentiel :


Rome, encore aujourd’hui conservant ces maximes
Joint le trône à l’autel par des nœuds légitimes ;
Les citoyens en paix, sagement gouvernés,
Ne sont plus conquérans et sont plus fortunés,