Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien n’est plus net que le résidu que nous donne M. Aulard des idées, tout compte fait, directrices et des principes, tout compte fait, essentiels de la Révolution française. La Révolution, à la réduire aux idées et sentimens qui ont eu, pendant son cours, le plus d’influence sur ses partisans, a été anti-aristocratique, anti-monarchique, anti-religieuse, anti-ploutocratique. Réduisons encore. Cela revient à dire que ses deux « principes » ont été « l’égalité » et la « souveraineté du peuple, » et, comme dit Aristote, il n’y en a pas un de plus. Et tout le reste est venu de là, et rien d’important dans toute l’histoire de la Révolution jusqu’à nos jours ne se rattache à autre chose.

Avant d’aller plus loin, remarquez les lacunes apparentes et intentionnelles. Il n’est question dans ce résumé ni de « liberté, » ni de « sûreté, » ni de « propriété, » quoique ces choses soient inscrites, à titre de droits, soit dans la Déclaration de 1789, soit dans celle de 1793. C’est qu’en effet ces choses n’ont quasi aucune importance pour les révolutionnaires français, je dirai même pour les Français ; et n’en ont vraiment aucune, relativement aux deux principes seuls gardés par M. Aulard comme vraiment constitutionnels : égalité, souveraineté du peuple. En d’autres termes, mis au choix, les Français sacrifieront-ils liberté, sûreté, propriété, à l’égalité et à la souveraineté du peuple ? Il faut répondre : oui, tant qu’ils seront pénétrés de l’esprit général de la Révolution française ; et donc il n’y a qu’égalité et souveraineté du peuple qui soient principes constitutionnels de la France nouvelle. De ces deux idées toutes les autres ont dérivé, avec le temps, plus ou moins combattues, plus ou moins entravées, suivant, cependant, leur cours et développant, successivement ou simultanément, toutes leurs conséquences.

L’égalité a été d’abord pour les Français imbus de l’esprit nouveau, l’égalité des droits, l’égalité devant la loi et devant la justice, l’égale possibilité d’accès à tous les emplois et à toutes les fonctions. C’est l’esprit général de 1789. Mais, l’égalité des droits n’étant guère plus qu’une plaisanterie un peu amère quand l’égalité de conditions n’existe pas, l’idée de l’égalité des conditions n’a pas tardé à pénétrer dans les esprits, comme une conséquence du « principe, » et aussi comme une condition de l’application réelle de l’égalité des droits elle-même. Etant incontestable qu’un homme riche et qu’un homme pauvre ne sont nullement égaux ni devant la loi, ni devant la justice, ni pour