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s’étalent somptueusement aujourd’hui les docks et les bassins de notre premier port sur l’Océan, n’était alors qu’un immense marécage insalubre et presque désert, à l’Est duquel débouchait la rivière de la Lézarde, qui formait, comme le Bolbec, un petit golfe maritime.

Lillebonne n’est plus aujourd’hui qu’une très petite ville adossée d’une manière charmante à un coteau boisé qui domine silencieusement une assez riche campagne ; c’était autrefois la capitale de l’ancienne tribu gauloise qu’on appelait les Calètes et qui occupait tout le pays de Caux, dont le nom semble bien rappeler un peu celui de la peuplade primitive. Ce fut un des centres de résistance qui donnèrent le plus de mal à César. Le général romain fut presque obligé de la détruire pour la prendre, mais se hâta de la rebâtir plus belle et plus puissante, en fit une des principales places fortes de la Gaule conquise, et voulut même lui servir en quelque sorte de parrain. Le nom primitif de la ville devait se terminer par le suffixe celtique bona. César le fit précéder du sien Iulius et elle devint Iuliobona ; c’est ainsi qu’elle est désignée sur l’itinéraire officiel de l’Empire. Il n’est resté aucune ruine, aucune trace de la ville gauloise complètement transformée par les légions et les colons. La ville romaine, au contraire, nous a laissé d’assez précieux souvenirs ; et, dans les alluvions récentes qui entourent la ville moderne, on a mis au jour de nombreux bas-reliefs, des mosaïques, des médailles, des fragmens de statues en marbre et en bronze, des armes, des objets usuels de toute nature ; on a même exhumé, au-dessous des prairies qui déploient leur manteau de verdure sur tout le golfe atterri, quelques amorces des substructions d’un théâtre antique dont le grand axe avait 150 mètres de longueur, ce qui constitue un document très intéressant et donnant à lui seul la mesure de l’importance de la cité disparue.

Le port n’était pas vraisemblablement à Lillebonne même, mais à près de 1200 mètres au-dessous, du côté de Mesnil ; et des fouilles intelligentes dans la vallée du Bolbec permettraient peut-être de retrouver l’ancienne darse des galères. Comme Ostie, comme Ravenne, comme Fréjus, il s’est peu à peu envasé et a fini par disparaître complètement sous les alluvions. Les digues de la Seine ont complété l’œuvre patiente d’atterrissement de la nature. Le bassin des premiers siècles est devenu une plaine cultivée.