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faciliter les communications par batellerie entre le grand port de la Manche et toute la vallée de la Seine et l’avantage d’éviter à tout le matériel de la navigation intérieure les dangers et les sujétions que présente presque toujours l’estuaire d’un grand fleuve qui débouche dans une mer à marées, remonte à plus d’un siècle. En 1785, l’ingénieur Lamblardie avait déjà proposé d’établir un canal entre le Havre et Villequier. En 1826, l’amiral Bérigny voulait relier le Havre à la Seine près de Ganville, un peu au-dessus de Caudebec. En 1827, l’illustre Fresnel demandait qu’on fît remonter le canal encore plus haut, et qu’il eût son point de départ près de Duclair, à une trentaine de kilomètres à peine de la banlieue de Paris.

La Seine est aujourd’hui régulièrement endiguée jusqu’à l’embouchure de la Risle, près de Berville, sur la rive gauche, en face de la pointe du Hode, sur la rive droite. Il a donc suffi d’établir le commencement de la dérivation un peu en amont du point où se terminent les digues ; et c’est le Nais de Tancarville qui a été choisi pour le point de soudure entre le fleuve et le canal. On conçoit sans peine que l’établissement de cette voie artificielle, qui pouvait changer au profit du Havre le contact entre la batellerie fluviale et les navires de mer, ait soulevé de la part de Rouen de très vives objections. On se demandait avec inquiétude, en effet, si les bateaux de mer ne s’arrêteraient pas presque tous au Havre, n’abandonneraient pas définitivement la remonte de la Seine, et si le grand port intérieur de la Normandie, un peu délaissé, ne serait plus qu’un port exclusivement alimenté par la navigation fluviale et ne subirait pas une sorte de déclassement. Ces craintes ne se sont heureusement pas réalisées.


VIII

Tout le monde sait qu’à l’époque des grandes marées, et surtout à l’époque des équinoxes, la Seine maritime, depuis son embouchure jusqu’à une vingtaine de kilomètres en aval de Rouen, est balayée par une puissante vague remontante qu’on appelle la « barre » ou le « mascaret, » et qu’on a longtemps considéré cette invasion subite de la mer comme une grande gêne et même comme un danger redoutable pour la navigation. Le mascaret n’est pas d’ailleurs un phénomène particulier à la