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seul remède pratique serait d’accroître la puissance d’entraînement de l’Orne en augmentant par des ouvrages de retenue le volume de ses eaux. Le problème aurait pu recevoir peut-être une solution satisfaisante, si l’on y avait ajouté celles de la Dives, qui est assez voisine. Un canal d’une douzaine de kilomètres aurait permis d’effectuer cette dérivation, doublé la force du courant et permis d’assurer un chenal à peu près régulier à l’embouchure. On l’a bien proposé quelquefois ; mais on comprend que l’on ait hésité à sacrifier complètement Dives et Cabourg en leur supprimant à peu près complètement la rivière qui de tout temps leur avait donné tous les avantages d’un petit port présentant un très bon mouillage, sans compter tous les avantages et tous les agrémens qui résultent de la présence d’un grand cours d’eau.

L’embouchure de l’Orne est en réalité un peu comme celles du Rhône, que Vauban déclarait « incorrigibles. » Il faut l’abandonner et la tourner. C’est la solution qui a été adoptée pour notre grand fleuve méditerranéen. Le canal d’Arles à Bouc d’abord, le canal Saint-Louis ensuite, le grand canal projeté du Rhône à Marseille, qui est en ce moment l’objectif passionné du commerce marseillais, sont les seuls expédiens pratiques pour résoudre la question des embouchures ; et c’est un expédient du même genre qui a été appliqué pour mettre Caen en communication régulière avec la mer.

Vauban fut le premier qui indiqua très nettement la solution. Dans sa pensée, le lit de l’Orne devait être redressé de Caen à la mer, l’embouchure actuelle abandonnée et transportée artificiellement, par une grande tranchée, à l’Ouest, dans la rade de Colleville, où l’on aurait créé de toutes pièces un port d’abri. L’Orne même aurait été rendue navigable jusqu’à Argentan. C’était aller peut-être un peu loin. Mais Caen était alors la plus importante et surtout la plus séduisante ville de la Basse-Normandie. Admirablement située au confluent de l’Orne et de l’Odon, à quelques kilomètres à peine de la mer, dans une plaine qui peut être regardée comme une des plus riches de la France, à la fois agricole, industrielle, commerçante, artiste, élégante et lettrée, elle méritait bien l’enthousiasme de nos vieux chroniqueurs, qui allaient jusqu’à la comparer alors à Paris. « Elle est pleine de grandes richesses, disait Froissart, de draperies et de toutes marchandises, de riches bourgeois et de moult belles églises. » Il ne lui manquait réellement qu’un bon port, et elle était certes loin de