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navette entre ces barques et la terre, et pratiquent en outre la pêche sur les rochers.

Isigny est plus important. Le port proprement dit est au fond de la baie qui porte son nom, un peu en amont du confluent de la Vire et de l’Aure. On y accède d’abord par le chenal d’Aure et Vire, émissaire commun aux deux rivières, et puis par le chenal de l’Aure, tous deux endigués ; ce n’est d’ailleurs qu’un large canal qui n’a guère que 350 mètres, mais très bien aménagé, bordé de quais, possédant une bonne cale de radoub et pouvant recevoir des navires de 300 tonneaux. Le nom d’Isigny a été donné en général à tous les beurres renommés que l’on fabrique en grand dans toute la région inférieure de l’Aure. Tout le beurre qui ne va pas à Paris par le chemin de fer est expédié au Havre par de petits caboteurs, et de là en Angleterre. Le mouvement du port atteint près de 15 000 tonnes : les deux tiers à l’importation, charbons anglais et bois du Nord ; le reste, à la sortie, comprend des produits agricoles et surtout du beurre salé. À ce mouvement à peu près régulier, il faut joindre un commerce local de près de 20 000 tonnes de tangue, qui est l’amendement indispensable de toute la plaine et est absolument nécessaire pour entretenir la richesse du pays.

Plus encore qu’Isigny, Carentan est le port d’expédition pour les denrées agricoles. C’est le grand centre de commerce du beurre de toute la Normandie. Mais, bien avant que le pays eût été transformé en grand pâturage, et alors que le golfe des Veys était largement ouvert à la navigation, Carentan avait une sérieuse importance comme port de commerce et surtout comme place de guerre. Ptolémée place au fond de la baie l’ancien port des Unelli, l’un des soixante peuples de la Gaule Chevelue. Ou l’appelait Crociatonum portus ; c’est le Crouciaconnum de la Table de Peutinger ; et le nom se retrouve presque intact dans un ancien gué de la Vire, le vicus Carentonus, où se trouvait autrefois un port qu’on appelait Barbaflot et qui est mentionné dans des histoires du XIe siècle. Le port des premiers siècles ne devait pas se trouver d’ailleurs à Carentan même, mais plus près de la mer, et très probablement à Saint-Côme-du-Mont, à 21 lieues gauloises ou à 40 kilomètres à peu près d’Augustodurum, qui est devenu Bayeux. On a retrouvé dans les environs les soubassemens d’un ancien castellum romain. Des ruines de la même époque et de même nature ont été relevées de l’autre côté de la baie, au Sud