Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvoir politique, l’Etat n’a d’autre borne à sa puissance que le sentiment de son devoir. Et, en matière économique, l’Etat doit être « une prévoyance collective[1]. » Que dit-on « une prévoyance ? » il ne faut pas avoir peur du mot, et c’est « une Providence » qu’il faut dire. « Les gouvernemens sont les ministres visibles de la Providence. » Ils sont institués pour « assurer à tous les membres de la société justice, protection, liberté. » Mais leur sollicitude appartient légitimement « aux pauvres bien plus qu’aux riches, aux faibles plus encore qu’aux puissans. » En faveur des pauvres, le gouvernement a tout à faire ; en faveur des faibles, il doit faire tout ce qu’il peut faire[2]. Comme la propriété industrielle se développe de jour en jour, et comme il est de la nature de l’industrie « d’agglomérer une multitude d’hommes dans un même lieu, d’établir entre eux des rapports nouveaux et compliqués, » la classe industrielle a besoin d’être « réglementée, surveillée, contenue » plus que les autres classes. Il est donc naturel « que les attributions du gouvernement croissent avec elle. » L’industrie « apporte le despotisme en son sein, il s’étend naturellement à mesure qu’elle se développe[3]. » Et ne prenez pas « despotisme » en trop mauvaise part : il ne signifie guère en ce cas que très large intervention d’une très haute autorité.

Le programme maximum ou intégral irait jusqu’à socialiser les individus, les moyens de production et le sol, « faire en sorte que le sol et les moyens de production… soient régis, exploités, employés sous la suprême direction des pouvoirs représentatifs, » et, puisque aussi bien, l’usine est un centre où l’ouvrier va se servir d’instrumens qui ne lui appartiennent pas, créer un centre, un seul, auquel appartiendraient tous les instrumens de travail ; — centre unique qui serait l’Etat, dans lequel tous les citoyens deviendraient des fonctionnaires[4]. Mais il y a un programme

  1. Buchez, Introduction à la Science de l’Histoire (1833), t. I, p. 5, 13, 22, 493, Histoire parlementaire de la Révolution française (1833-1838). Le Traité de politique et de science sociale n’a été publié qu’en 1866.
  2. Marquis de Villeneuve-Bargemont, Économie politique chrétienne, ou Recherches sur la nature et les causes du paupérisme en France et en Europe, et sur les moyens de le soulager et de le prévenir (1834), t. II, p. 395, t. III, p. 132.
  3. Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Œuvres, t. III, p.. 506 et 508. Ce n’est pas à dire que Tocqueville approuve absolument ou recommande, mais il constate.
  4. Pecqueur, Des améliorations matérielles dans leurs rapports avec la liberté (1839). — Théorie nouvelle d’économie sociale et politique, ou Etude sur l’organisation des sociétés, 1842. Pecqueur aboutit en somme à l’association, « universelle dans chaque pays, » puis cosmopolite ; chaque peuple formerait une vaste association, économique, politique, civile, sous la raison sociale : association française, italienne, américaine, etc. — De même Vidal, De la répartition des richesses, ou de la justice distributive en économie sociale, 1846 ; — Vivre en travaillant, projets, voies et moyens de réformes sociales, 1848.