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effrayait. La cité future, merveilleuse et enchantée : « non, disait-il, c’est l’utopie, la chimère. Mais la Révolution de 1789 ne s’y est pas méprise : le droit de propriété ne va pas sans une consécration inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme, dans cet acte de naissance des sociétés modernes ; il ne va pas sans l’égalité devant l’impôt. Eh bien ! peu à peu, très habilement, très patiemment, voici qu’on nous a conduits sur le chemin de l’impôt progressif, et, par définition, on peut dire qu’il y a un antagonisme invincible entre le droit de propriété, tel qu’il a été reconnu par la Révolution française, et la progression de l’impôt. » Il serait aisé d’extraire vingt morceaux du même genre de l’abondante collection des harangues extra-parlementaires que M. Waldeck-Rousseau prononçait à cette date, si rapprochée de nous par le temps et qui en paraît si éloignée par les transformations imprévues qu’ont éprouvées certaines personnes, au premier rang desquelles il faut bien mettre l’orateur lui-même. Mais rien ne prouve que, sur l’impôt global et progressif, il n’ait pas gardé son ancienne opinion.

En tout cas, son gouvernement, représenté cette fois encore par M. le ministre des Finances, a manœuvré adroitement pour faire échouer la réforme à la Chambre des députés. Échouer ? On pourra contester l’exactitude du mot ; mais on aura tort. Il y a des circonstances où un ajournement peut être considéré comme un échec définitif, et la Chambre était dans une de ces circonstances. L’occasion qui se présentait à elle d’étudier sérieusement l’impôt sur le revenu était la dernière : toute la question était de savoir si elle en profiterait, ou si elle n’en profiterait pas. Elle a préféré prendre le dernier parti. En vain les partisans de l’impôt sur le revenu ont-ils lutté avec l’énergie du désespoir : M. le ministre des Finances leur a démontré que la réforme de leurs rêves ne pouvait avoir toute sa valeur que si elle était complète, et qu’à l’heure avancée où on était de la session et même de la législature, on ne pouvait la faire que partielle, incomplète, boiteuse, portant tout au plus sur une ou deux contributions directes au lieu de porter sur toutes. C’était la déshonorer que de la faire ainsi ! Nous aurions préféré un langage encore plus franc, qui n’aurait pas continué de promettre pour plus tard ce qu’on sait bien ne pouvoir tenir jamais. C’est par des équivoques de ce genre qu’on entretient dans les esprits simples des espérances irréalisables. L’avenir reste donc réservé : mais, pour le présent, M. le ministre des Finances a bel et bien enterré l’impôt sur le revenu. Naturellement, on s’est promis de le reprendre à la rentrée. Que ne reprendra-t-on pas à la rentrée ? On reprendra tant de choses qu’on n’en fera