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autrefois, comme c’est aujourd’hui, la grande saillie de la côte à l’Ouest de Saint-Malo. Les jolies baies de la Fresnaye, de l’Arguenon et de Lancieux, où se trouvent aujourd’hui les petits havres de Port-Nieux, du Guildo, de Saint-Jacut et de Saint-Briac, n’existaient pas encore. Toute la côte couverte aujourd’hui par les élégantes villas de Saint-Lunaire, de Saint-Enogat, de Dinard était éloignée de la mer de près de 1 500 mètres. La Rance débouchait à plus de 8 kilomètres après Saint-Malo, au massif des Pierres des Portes, aujourd’hui noyé. Tout l’archipel rocheux de la baie était soudé à la terre ; et les îles de Cézemhre et de Chausey étaient très probablement à la limite même des plus basses eaux.

On a quelquefois essayé d’expliquer l’invasion assez rapide de la mer par un cataclysme soudain ; et les annalistes ont souvent parlé de la « fatale marée de l’an 709. » Nous devons à la vérité de dire que les souvenirs de cette marée formidable sont très confus, perdus dans des légendes très douteuses, et que les textes qui en font mention ne méritent pas un grand crédit[1]. Il est certain d’ailleurs qu’un phénomène de cette nature n’aurait pu occasionner qu’un effet temporaire et que, la marée une fois accomplie, les eaux, en se retirant, auraient nécessairement laissé émerger les terrains qu’elles auraient précédemment engloutis. Tempêtes, ouragans, marées exceptionnelles ne peuvent avoir changé que pour un moment, et dans les limites seulement du temps pendant lequel ils agissaient, la ligne de démarcation entre la terre et la mer. Le phénomène du recul de la baie du Mont Saint-Michel est d’ailleurs général à toute la presqu’île armoricaine ; et nous avons eu l’occasion de le constater plusieurs fois. La seule explication rationnelle que l’on puisse donner de ce recul de la côte est donc une dépression lente et un affaissement séculaire du sol. C’est celle qui est d’ailleurs admise universellement aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, le port si remarquable de Saint-Malo n’existait certainement pas à l’époque romaine à l’emplacement qu’il occupe aujourd’hui. Les eaux, en inondant toute la région littorale, ont contourné le rocher sur lequel se pressent serrées les unes contre les autres les maisons très élevées de la ville

  1. L’abbé Manet, De l’état ancien et de l’état actuel de la baie du Mont Saint-Michel. Cf. A. Chevremont, Les mouvemens du sol, ch. XXII ; la fatale marée de l’an 709. Paris, 1882.