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récifs, des îlots en quantité innombrable entre lesquels les marins les plus exercés, montés sur des bateaux du plus petit tonnage, ne peuvent s’engager qu’avec prudence et une très grande connaissance des lieux. Nulle part le balisage et l’éclairage de la côte n’ont rendu de plus grands services. Le magnifique phare des Héaux de Bréhat, en particulier, dresse avec une simplicité sublime sa tige de 50 mètres et s’évase en s’épatant sur le rocher dans lequel il est scellé et qu’il semble étreindre comme la racine d’une gigantesque plante de mer ; et nul ne peut dire le nombre des navires qui, sans le secours de sa lumière ou le cri strident de sa sirène, auraient été brisés contre le terrible épi naturel qu’on appelle le Sillon de Talberg ou les Epées de Tréguier et qui s’avance bien comme une arme aiguë et menaçante au milieu de l’indéchiffrable archipel d’écueils perdus aux embouchures du Jaudy et du Trieux.

Le Jaudy est la rivière de Tréguier. Tréguier, port intérieur à 9 kilomètres de cette mer essentiellement dangereuse, ne possède que des quais d’échouage au pied desquels les caboteurs n’amortissent presque pas. Mais on peut à la rigueur s’en passer ; on se contente, pour embarquer ou débarquer les marchandises, d’envoyer à mer basse des charrettes sous les navires, et, au plein de l’eau, on emploie de petits chalands ou des ponts volans de 6 à 7 mètres de portée. La baie de Tréguier est littéralement semée d’écueils dont les principaux, — la Corne, les Pen-ar-Gluézec, la Pierre-à-l’Anglais, la Chaussée des Renauds, le plateau de Roch-Hir, la Jument, le Petit-Taureau, les Épées, les Duono, les Héaux, — à peu près inabordables lorsque la mer n’est pas exceptionnellement calme, sont en outre entourés de rochers sous-marins très dangereux et signalés seulement par le bouillonnement et le remous des vagues. Malgré ces mauvaises conditions d’approche, Tréguier est loin d’être inactif. Le mouvement atteint même près de 25 000 tonnes, dont les trois quarts, contrairement à ce qui se passe dans la plupart de nos ports, est à l’exportation. Le pays est avant tout agricole ; et, à part quelques houilles anglaises, des bois du Nord et un peu de vin, il expédie surtout de grandes quantités de pommes de terre, des farines, des blés et des tourteaux de graines de lin. L’industrie de la pêche n’y est pas très développée. Une centaine d’hommes seulement, montés sur une vingtaine de bateaux, sont affectés au petit cabotage. A peu près le même nombre s’embarque