Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même industrie ou dans toute autre. Si, ayant résisté dès le début, les patrons avaient tenu ferme jusqu’au bout, comme viennent de le faire les vaillans et intelligens armateurs de Marseille et le Conseil d’administration de Montceau, les ouvriers, convaincus qu’une grève n’est pas une gaminerie sans importance, mais une bataille aux conséquences terribles, si elle est perdue et même si elle est gagnée, ne se décideraient plus au combat économique par des raisons futiles ou manifestement injustes, et n’y recourraient qu’à la dernière extrémité.

Le système d’impôt progressif sur le riche, inauguré par la loi des successions, ne tardera pas à devenir une cause nouvelle de grève. Le pauvre apprendra à ses dépens que tout impôt sur le riche est en réalité un impôt sur le pauvre. Tout riche, à moins qu’il ne cache son or dans la terre, ce qui n’est plus guère dans les usages, n’est qu’un distributeur, c’est-à-dire un créateur de travail, soit qu’il dépense directement, soit qu’il place son capital en des mains industrieuses qui le dépensent pour lui. Dès lors, tout impôt qui le frappe spécialement amoindrit ses facultés de distribution et entraîne une diminution de travail ; la diminution de travail conduira tôt ou tard à un abaissement de salaires ; le travailleur ne l’acceptera pas : de là de nouvelles grèves sans issue.

Enfin, la cause principale de la recrudescence menaçante des grèves est dans l’institution de syndicats professionnels autorisés à se fédérer, et légalement armés du droit de tyrannie sur ceux même qui ne leur appartiennent pas[1]. Dès 1864, nous voyions dans la liberté des syndicats le corollaire obligé de la liberté des coalitions, mais nous ne la concevions que comme une des formes du droit général d’association reconnu à tous les citoyens. Et c’est en prévision de l’éventualité de la création des syndicats et de leur action intolérante que nous avions mis tant de sollicitude à assurer par l’article 416 la protection du travail. Les syndicats ont été concédés à titre de privilège exclusif à l’industrie et au commerce. Dès qu’ils furent institués, les agitateurs révolutionnaires songèrent à les convertir en instrumens de subversion sociale, et ils demandèrent qu’on les débarrassât de la gêne des articles 414 et 416. Les républicains modérés, maîtres encore de l’Assemblée, n’eurent pas la prévoyance d’opposer au mal une

  1. Loi du 21 mars 1881.