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choses qui impliquent sans doute un milieu extérieur, mais non pas nécessairement un milieu social. Et il faut ajouter que, dans la société même, le premier stade de l’histoire a été une synthèse confuse de la moralité sociale et de la moralité individuelle, synthèse où l’élément social dominait, restreint d’ailleurs à la tribu ou à la famille. On a prétendu que la seule vertu d’apparence individuelle était alors le courage ; qu’en réalité, le courage, comme qualité individuelle, était simplement une supériorité utile à l’individu, une forme de la force ; et que, en tant que vertu, il était une supériorité utile à la tribu, dont l’individu faisait montre devant la tribu et pour la tribu. — Est-ce bien sûr ? Pourquoi refuser obstinément la qualité de vertu au courage d’un homme isolé, d’un Robinson sauvage qui supportera plus ou moins bien la faim, la soif, la fatigue, etc. ? — C’est seulement de la force, dites-vous ; — mais c’est de la force morale, et cette force de volonté est le commencement de toute vertu. Il est d’ailleurs très vrai que le courage des sauvages est en même temps une vertu d’apparat et d’honneur ; mais est-ce que les deux points de vue, loin de s’exclure, ne se complètent pas mutuellement ? Si la tribu attache une certaine gloire au courage, c’est parce que tous sentent, outre l’utilité individuelle et sociale du courage, sa valeur interne, son mérite, sa beauté ; intrinsèque. L’homme qui a accompli un acte de courage, fût-il sans témoin, se sent supérieur à lui-même, supérieur à ce qu’il fut en tel moment de lâcheté. Il n’éprouve pas uniquement le sentiment qu’il éprouverait à voir que son bras est devenu plus gros ou plus fort ; il sent qu’il est pour quelque chose dans son propre courage, que la réflexion et la maîtrise de soi ont coopéré à l’accroissement de sa force morale. Le plus sauvage des hommes peut avoir un sentiment de ce genre, puisqu’on en constate le germe jusque chez les singes ou les chiens. L’ancienne poésie épique n’est que louange du courage.

En définitive, nous accordons au socialisme évolutionniste que, là où le facteur social « sera faible et insignifiant, » on devra constater « l’amoindrissement proportionnel des phénomènes psychiques et moraux ; » mais nous avons fait voir que cette variation concomitante n’implique nullement l’identité. Même en dehors de tout milieu social, pour l’animal isolé, pour l’enfant isolé, certains développemens élémentaires de l’esprit sont possibles : sensation, souvenir, comparaison,