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« L’humanité future ne se passera pas de religion : celle de l’humanité remplacera les autres. » Plus récemment, M. Georges Renard est parmi ceux qui ont combattu avec force les théories matérialistes et ennemies de la morale, mises à la mode par Marx[1]. Pour M. G. Sorel, esprit indépendant, quoique inclinant au marxisme, le facteur juridique et moral reste essentiel à la solution du problème social. M. Jaurès, à son tour, oppose au matérialisme de Marx et de M. Lafargue une sorte de synthèse où le naturalisme n’est plus que l’enveloppe, tandis que l’idéalisme est le fond. Les idées de justice et d’égalité ont, selon lui, leur racine dans la nature sympathique et intelligente de l’homme : elles agissent ensuite « comme forces sociales indépendantes des forces économiques. » C’est aussi la doctrine de M. Fournière dans son Idéalisme social[2]. Ce dernier répond aux marxistes : « Le Fay ce que vouldras doit devenir la devise de l’humanité parvenue dans son ensemble à l’État conscient, mais seulement lorsque chacun saura ne rien vouloir qui soit contraire à l’intérêt de tout ou partie du corps social, c’est-à-dire lorsque la conscience, développée en chacun de nous, y aura établi des sanctions intérieures assez puissantes pour se substituer sans péril aux sanctions extérieures. » D’où l’on pourrait conclure que l’état idéal de la société communiste n’enveloppe rien moins que la perfection idéale des consciences individuelles. Enfin le livre bien connu de M. Bourgeois sur la Solidarité peut être considéré comme un essai pour donner au socialisme, largement entendu, une morale en harmonie avec la science de notre temps.

En Allemagne, contre le matérialisme moral de Marx s’est élevé C. Schmidt, qui révèle les côtés faibles de l’utilitarisme et de l’égoïsme, la valeur propre, l’indépendance et la nécessité des forces morales : loin d’attendre tout salut des institutions sociales, Schmidt va jusqu’à réclamer le sacrifice de soi. Mêmes idées chez M. L. Stein[3]. En Italie, M. Labriola a réagi contre les excès du marxisme. Selon lui, la psychologie dépasse l’homo œconomicus et doit reconnaître l’importance des facteurs moraux. La moralité, ajoute-t-il, n’est nullement indifférente à la prospérité

  1. Le Régime socialiste, Paris, Alcan, 1898.
  2. L’Idéalisme social. Paris, Akan, 1899 et « la Leçon sur la Morale de Guyau » dans les Questions de morale, Paris, Alcan, 1900.
  3. La Question sociale au point de vue philosophique. Paris, Alcan, 1900.