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n’iront jamais à la guerre, que la paix est donc assurée. Malgré ces certitudes, le prince Napoléon s’imagine que peut-être l’Empereur regrette cette situation d’impuissance ; il y a encore une hypothèse, c’est que l’Empereur veuille exciter la Russie à faire un acte qui forcerait la France à recourir aux arums, comme l’ultimatum autrichien envers le Piémont en 1859. Si cela est, comment obtenir ce résultat ? La Russie est prudente et ne fera rien aujourd’hui contre la Suède avant d’avoir tué la Pologne. Un acte pourrait peut-être l’irriter beaucoup et la porter à attaquer la Suède : ce serait si l’Empereur nommait son cousin, le prince Napoléon, ambassadeur en Suède aujourd’hui. Le prince accepterait avec empressement. Il aurait pour instruction de pousser la Suède à forcer la Russie à l’attaquer sans sortir, elle, des limites du droit des gens ; la Suède attaquée demandera le secours de la France qui, préparée dès aujourd’hui, lui donnera son aide. Si l’Empereur approuvait l’idée de ce projet, le prince le développerait à Sa Majesté. »

L’Empereur répondit : « Mon cher cousin, j’ai tardé à répondre à ta lettre, car il me peine d’entamer une discussion qui ne peut amener que des récriminations sur le passé. J’ai été surpris, je l’avoue, de voir combien tu rendais peu justice à ma conduite envers toi depuis douze ans et combien tu t’abusais sur la tienne. Les souvenirs de notre enfance me sont aussi chers qu’à toi, mais ils n’ont rien à faire avec les questions qui nous occupent aujourd’hui. Depuis le lendemain du jour où je fus élu Président de la République, tu n’as jamais cessé d’être, par tes paroles et par tes actions, hostile à ma politique, soit pendant la Présidence, soit au 2 décembre, soit depuis l’Empire. Comment me suis-je vengé de cette conduite ? En cherchant toutes les occasions de te mettre en avant, de te faire une position digne de ton rang et d’ouvrir une arène à tes brillantes qualités. Ton commandement en Crimée, ton mariage, ta dotation, ton ministère de l’Algérie, ton corps d’armée en Italie, ton entrée au Sénat et au Conseil d’Etat sont des preuves évidentes de mon amitié pour toi. Ai-je besoin de rappeler comment tu y as répondu ! En Orient, ton découragement t’a fait perdre le fruit d’une campagne bien commencée. Ton mariage a manqué nuire gravement à l’indépendance de ma politique eu tendant à faire croire à M. de Cavour (ce qui était complètement opposé à mon intention) que ton union avec la fille du roi de Sardaigne était une condition