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doigt combien l’insurrection actuelle était, plus encore que les précédentes, indigne de tout intérêt, folle et criminelle ; si, en même temps, on n’avait pas caché l’impossibilité de lui envoyer plus que des mots, et de traverser seuls l’Allemagne pour atteindre une Russie inaccessible ; si on eut fait entrevoir les effroyables sacrifices d’hommes et d’argent qu’eût exigés cette tentative sans espoir ; si on avait fait remarquer que cette guerre serait un si terrible inconnu, que ceux mêmes qui s’efforçaient de la rendre inévitable n’osaient prendre la responsabilité de la conseiller formellement ; si on lui eût prouvé qu’on n’avait pas le pouvoir de réaliser la délivrance dont on avait le désir, l’opinion se serait calmée, puis retournée. Et se fût-elle entêtée, on l’aurait laissée crier jusqu’à ce qu’elle eût recommencé à s’occuper d’autre chose. Les souverains viagers ou héréditaires sont institués pour résister aux entraînemens passagers des peuples, ce qui, à moins d’un héroïsme exceptionnel, n’est à espérer de personne dans une République où tous les pouvoirs relèvent de l’élection et n’ont qu’une durée limitée.

Morny, voyant ce que le vulgaire n’apercevait pas, s’épuisa à démontrer qu’à suivre le flot on allait à un commencement de suicide ; au contraire, en résistant à l’entraînement public, l’Empereur gagnerait à jamais le cœur et la reconnaissance d’Alexandre II, sur lequel les sentimens étaient tout-puissans, et assurerait à la France, avec cet appui de la Russie, la prépondérance tranquille sur l’Europe occidentale. Ses efforts furent vains. Malgré lui, on accepta la proposition de l’Angleterre d’une action collective. Marquons d’un caillou noir ce jour néfaste.


VI

Billault, qui avait si fermement maintenu la politique raisonnable, accepta de faire pressentir la transition à la politique insensée. Ce fut au Sénat, à l’occasion de pétitions en faveur de la Pologne.

Après une homélie historique gémissante et sans conclusion de Bonjean et un discours excellent de La Rochejaquelein, irrésistible de vérité et de logique, le prince Napoléon se déchaîna dans une diatribe d’insurgé polonais, ne ménageant aucune convenance, ne gardant aucune mesure. Il ne se contenta pas d’altérer les faits ou de supprimer ceux qui le gênaient, d’étaler les