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Pologne[1], et qu’il se fût même défendu d’en être le don Quichotte, il considérait que la résurrection du malheureux pays était une tradition de sa race. Maître d’écouter son sentiment intime, il n’eût pas résisté un instant à la pression que l’emportement public, l’Impératrice, le prince Napoléon, Walewski, Czartoryski exerçaient sur lui. Mais il était gentilhomme, et il se considérait comme lié par les services reçus du Tsar, par ses propres assurances de loyale et fidèle amitié.

Il découragea les espérances que les révolutionnaires de Pologne plaçaient en son intervention, par un désaveu formel inséré au Journal officiel (23 avril 1861). Il fit plus : il écrivit une lettre confidentielle au Tsar, lui exprimant ses regrets pour tout ce qui se passait à Varsovie, et le priant de ne pas croire aux perfides insinuations : l’alliance était trop préjudiciable à d’autres, pour qu’ils ne travaillassent pas à l’ébranler. Le Tsar manda Montebello (9 mai 1861). « J’ai lu la lettre de l’empereur Napoléon ; elle a produit sur mon esprit la meilleure impression, et j’y répondrai avec la franchise que mes sentimens à son égard me font regarder comme un devoir. J’ai été particulièrement sensible à la justice qu’il me rend, en me disant que depuis cinq années, j’ai été son allié le plus fidèle et le plus sincère. Dites-lui que je resterai ce que j’ai été en tant que cela dépendra de moi. Je suis convaincu qu’il est dans l’intérêt permanent de nos deux empires d’être étroitement unis, et pour ne pas rester fidèle à cette pensée, il faudrait que cela me devînt impossible. Le calme extérieur est rétabli en Pologne, mais l’agitation est toujours au fond des cœurs ; ma tâche est difficile. Cependant, je ne retirerai pas ce que j’ai donné ; je ferai exécuter les institutions que j’ai concédées, loyalement et, comme je l’ai promis, en toute vérité, pourvu que la Pologne ne rende pas mes intentions impossibles à réaliser. Mais, si elle a recours à des moyens révolutionnaires, je les réprimerai avec fermeté. » Napoléon III avait d’avance répondu aux vœux de son allié. Son ministre des Affaires étrangères, Thouvenel, avait mandé le prince Czartoryski, et lui avait déclaré que « l’Empereur le verrait avec un vif déplaisir s’occuper d’intrigues que sa raison et sa politique condamnaient, attendu que l’empereur de Russie était le souverain de l’Europe dont il avait reçu le plus de marques d’amitié, et avec lequel il

  1. Napoléon au roi de Wurtemberg, 11 avril 1811.