Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cracovie, elle répandit les fausses nouvelles, les calomnies altérant les faits les plus évidens, ne tenant aucun compte des rectifications reçues, et elle enveloppa l’Europe d’un épais nuage de mensonges. Ainsi elle raconta que, depuis sept ans, on fouettait les religieuses de Minsk afin de les contraindre à abandonner leur foi. Or, il n’y avait pas de couvent à Minsk. Elle contenait autant de fractions que de partis français à entraîner : Mierolawski agissait sur les révolutionnaires, Ladislas Czartoryski sur la Cour, Zamoyski sur le faubourg Saint-Germain, Branicki sur le prince Napoléon. Sous cette action incessante, opérant partout à la fois, se forma une espèce d’unanimité en faveur de la révolte. Les conservateurs la défendirent parce qu’elle était conduite par des nobles, les catholiques parce que des prêtres la favorisaient, les révolutionnaires pour la joie de faire du désordre quelque part ; Montalembert parlait avec la même exaltation que Garibaldi et Kossuth ; on entendait les mêmes vœux dans les salons et dans les cabarets, dans les sacristies et dans les sociétés secrètes. Ceux qui avaient maudit le mouvement italien parce qu’il était anticatholique s’unissaient à ceux qui exaltaient la révolte polonaise quoiqu’elle fût catholique : Dupanloup et Quinet se disputaient aigrement le droit exclusif d’être Polonais. Tous dénonçaient la tentative loyale de Wielopolski comme une machination traîtresse contre laquelle devaient se soulever les cœurs généreux.

A la Cour, même unanimité : le prince Napoléon et l’Impératrice se souriaient et se soutenaient ; Walewski avait pour le Comité occulte les bons vouloirs qu’il avait refusés à Cavour ; les belles dames montraient autant d’exaltation pour les assassins des dusses que pour les soldats qui allaient étouffer la liberté mexicaine ; les Czartoryski avaient leurs grandes entrées aux Affaires étrangères comme Branicki au Palais-Royal ; le peu sentimental Girardin lui-même adressait une lettre pathétique au Tsar le conjurant d’abandonner la Pologne. Seuls, la princesse Mathilde, Morny, Fould, Persigny combattaient l’entraînement universel. Personne n’éprouvait des sympathies plus ardentes que l’Empereur. Il disait à un de ses vieux amis suisses, l’ancien avoyer Tavel, de qui je le tiens : « J’ai changé ma manière de voir sur bien des points, mais, ajouta-t-il en élevant la voix, ce qui ne lui était pas habituel, je pense sur la Pologne comme en 1831. » Quoique son oncle n’eût pas voulu rétablir la