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faisant parade de ses connaissances de sculpteur, à la vue de ces pauvres filles, qui voilaient leur nudité d’un geste chaste, et quand, soulevées par un taureau, elles retombaient en lambeaux sur les cailloux de l’arène. « Il était là, au premier rang, sur le podium, avec sa mauvaise figure, sa vue basse, ses yeux bleus, ses cheveux châtains, bouclés en étages, sa lèvre redoutable, son air méchant et bote à la fois de gros poupard niais, béat, bouffi de vanité, pendant qu’une musique d’airain vibrait dans l’air ondulé par une buée de sang. »

Il me semble que, dans cette page, comparée aux récits de Tacite, on ne voit pas seulement la diversité de deux génies, mais la différence des deux systèmes.


VIII

C’est qu’en effet nous avons une façon de concevoir l’histoire qui n’est plus tout à fait celle des anciens. Oratoire par sa forme, morale par son but, elle était chez eux une province de l’éloquence et de la philosophie. La nôtre s’est dégagée de cette servitude ; elle se fait sa fortune toute seule, elle entend vivre de sa vie propre. En même temps qu’elle gagnait en indépendance, elle a singulièrement agrandi son domaine ; elle a fait une place plus considérable aux études économiques, sociales, géographiques, financières, etc. Elle est ainsi devenue plus riche, plus large, plus variée. Elle a cherché surtout à être plus vraie. La recherche de la vérité était aussi, on l’a vu, la préoccupation des historiens antiques, les nôtres ont employé des méthodes plus sûres pour la découvrir ; et par vérité ils n’entendent pas seulement la réalité matérielle des faits qu’ils rapportent, ils ont la prétention de les représenter exactement comme ils étaient, ils veulent faire revivre les hommes et les choses avec leur caractère et leurs couleurs véritables, de manière à nous donner l’illusion complète du passé.

C’est un progrès, et nous avons raison d’en être tiers ; — mais il ne faut pas non plus méconnaître et dédaigner ce qui s’est fait avant nous. Si l’histoire n’avait pas chez les anciens toutes les qualités qu’elle possède aujourd’hui, elle en avait d’autres, qui ont leur prix. Ses défauts, que nous lui reprochons quelquefois avec trop de sévérité, ne lui ont pas nui-autant qu’on pourrait le