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rapporter par le menu tous les événemens du passé. Parmi ceux dont le souvenir est venu jusqu’à nous, il y a les « faits mémorables (res illustres), » dont on pourra tirer une leçon ; il faut les mentionner. Quant à ceux que nous appelons aujourd’hui les « faits divers, » et qui ne sont que de petites anecdotes récréatives, Tacite les écarte de l’histoire et les réserve dédaigneusement pour les journaux. Dans les faits même qu’il croit devoir raconter, il supprime les particularités qui lui paraissent trop répugnantes. Quand il craint que le terme propre manque de dignité, il le remplace par une périphrase. Le Batave Civilis, qui se révolta contre les Romains, était borgne, comme Hannibal et Sertorius, et il était fier de leur ressembler. Tacite parle simplement d’un défaut physique, qui déshonorait son visage, oris dehonestamentum. Vitellius, ne sachant où se cacher, se réfugie dans une petite pièce du Palatin, où il se barricade avec une couchette et un matelas ; Tacite appelle cette pièce un ignoble réduit, pudenda latebra : c’était une loge ; de concierge. Quand on l’en eut tiré, on le traîna aux gémonies, en lui jetant sur sa face d’ivrogne de la boue et du fumier. Ces détails paraissent trop bas à Tacite, qui s’en lire avec une belle phrase : « La populace l’outragea mort avec la même bassesse qu’elle l’avait adoré vivant. »

il y avait pourtant des gens que ces anecdotes un peu vulgaires, racontées en termes assez grossiers, n’effrayaient pas, et qui, sans oser peut-être le dire, y prenaient plus de plaisir qu’à la solennité un peu froide de l’histoire officielle. Il faut même croire qu’ils étaient nombreux puisqu’un écrivain de mérite, qui avait pris dans la littérature une place importante, eut l’idée de les satisfaire. Suétone était un savant, qui, en véritable héritier de Varron, avait touché à tout, grand liseur de livres, grand preneur de notes, comme l’étaient alors les érudits. Mais il est probable qu’il ne restait pas toujours enfermé dans sa bibliothèque ou qu’il quittait à l’occasion cette maison de campagne, qu’il avait aux portes de Rome, une véritable villa d’homme de lettres « tout juste assez grande pour qu’on puisse s’y reposer, et assez petite pour ne causer aucun souci. » L’amitié de Pline semble indiquer qu’il avait accès dans le monde distingué. Il a pu fréquenter cette société où l’on parlait librement de ceux qui avaient joué un rôle dans l’Etat, surtout des princes et de leur famille. Plus tard sa liaison avec un préfet du prétoire le lit entrer dans