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de ressusciter les siècles éteints ? C’est là le danger de vouloir des reconstitutions historiques qui ne sont pas de l’histoire, quelque consciencieuses d’ailleurs et fouillées qu’elles puissent être. Nous savons qu’elles ne se rapprochent pas beaucoup plus de l’exacte vérité, que l’acteur grimé qui représente un héros ne se confond avec ce héros ; et chaque fois que nous pensons à cette inévitable condition de leur existence, notre illusion s’évanouit et notre impression s’atténue. L’art du poète, c’est de nous empêcher le plus possible d’y penser, c’est de nous entraîner et de nous ravir par ses fantasmagories jusqu’à nous faire oublier leur caractère d’apparences. Or, dans son troisième acte, M. Boïto me semble triompher de cette difficulté, par le seul charme de ses vers et par l’espèce de pénétration chrétienne dont il s’est comme imprégné l’âme. Guidés par Simon, — qui pressent la force du culte nouveau sans en pouvoir comprendre la pureté, — les premiers persécuteurs interrompent les beaux rites. Ils ne sont pas les plus nombreux ; mais leurs victimes ne se défendront pas ; et leur chef se laisse emmener, en leur prêchant l’amour, au milieu de leurs chants où vibrent les mots d’amour :

LE CHANT QUI S’ÉLOIGNE :

Heureux celui qui meurt Pour le Dieu véritable. Sauvé est celui qui croit, Amour ! Amour ! Amour !

RUBRIA.

J’entends encore… Ils chantent : « Amour !… Amour !… »

(Elle s’efforce de recueillir les derniers sons du chant.)

J’entends encore…

(Après un long silence d’angoisse.)

Je n’entends plus !…


Ces deux groupes de personnages enveloppent la figure de Néron, qui les domine et demeure, en tout cas, le centre auquel aboutissent les fils d’une action très complexe. Mais il est, si l’on peut dire, d’une autre qualité littéraire. Astérie, Phanuel, Simon, Rubria et les autres, dont les noms, quand ils appartiennent à l’histoire, jettent à peine un reflet furtif et incertain sur la trame obscure des événemens, ne sont ici que des symboles : ils sont à peu près à Néron ce qu’Hélène,