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grève. Des dangers les menacent désormais dont ils ne connaissent pas la gravité. En même temps que la liberté s’est accrue, se sont accrues aussi les occasions de faillir. Et toute faute, qu’ils y pensent bien, retombera en malheurs, en larmes sur eux, beaucoup plus que sur les patrons qui peuvent attendre, beaucoup plus que sur la société qui sait se défendre ! La grève, c’est la guerre avec ses nécessités, avec son caractère destructeur, ses duretés, ses violences, ses colères, avec son accompagnement obligé de deuils, de dévastations. Comme à la guerre, dans les grèves, les innocens sont atteints pour les coupables, les femmes, les enfans, les vieillards supportent les maux qu’ils n’ont point causés. De la grève comme de la guerre, il sort quelquefois du bien, mais un bien mêlé d’amertume, qui laisse après lui les longs ressentimens, dont on ose à peine se réjouir, mais un bien tellement semblable au mal, que l’historien a peine à l’en distinguer et que le philosophe n’y parvient pas. La grève ne sera vaincue qu’à force de liberté et d’instruction. L’expérience du passé le prouve : la défendre, c’est en allumer le désir ; la permettre, ce sera en inspirer la terreur. Avec le temps, la liberté des coalitions tuera la grève. Quand les ouvriers auront touché de leurs propres mains les limites infranchissables de la volonté humaine ; quand ils se seront exercés au maniement des faits, à la connaissance des lois économiques ; quand ils auront plusieurs fois encouru pour leurs entreprises injustes les censures de l’opinion publique, toujours disposée à les soutenir tant qu’ils sont désarmés ; quand, de leur côté, les patrons, avertis des épreuves auxquelles ils sont exposés, auront redoublé de bienveillance et de sagesse, les grèves deviendront plus rares, et d’un antagonisme passager naîtra, sinon l’accord sans nuages, du moins l’habitude des discussions loyales et conciliantes. En Angleterre, la liberté des coalitions a conduit au fameux meeting de Bolton, dans lequel les ouvriers eux-mêmes ont fortement déduit les raisons pour lesquelles la grève était mauvaise, et conclu par ce cri : « Ne faisons plus de coalitions ! »

Mon travail terminé, la commission décida que, vu son importance, il serait, contrairement à l’usage, imprimé avant lecture. J’acceptai cette proposition, pourvu que les épreuves, après la séance, fussent toutes remises au président, afin que ma rédaction provisoire ne fût pas colportée au dehors comme l’avaient été mes projets d’articles. Avant même celle impression terminée,