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trouver le germe de bien des protestations généreuses de notre temps contre l’autorité indigne ou contre la puissance des parvenus et de l’argent. L’admirable sophisme de Daniel de Foë a merveilleusement préparé les esprits, durant tout ce siècle, à concevoir le monde comme une de déserte où tout est à faire, et par conséquent à adopter le point de départ des doctrines socialistes sur l’origine de la propriété, de la valeur, du capital. Nul ne peut dire quel immense effet ont eu sur les idées françaises ces trois auteurs : Daniel de Foë, Mme de Ségur et M. Jules Verne. Ce sont d’autres assurément qui ont donné à ces idées la forme définitive sous laquelle nous les concevons et qui en ont ainsi recueilli l’honneur. Mais sans l’atmosphère créée par les conteurs, qui peut dire si elles se seraient aussi vite développées ? Ainsi les écrivains aimés de l’enfance détiennent la plus grande puissance. Nous devrions les honorer — et peut-être aussi les surveiller — comme les chefs, les rois, les inspirateurs du peuple que nous serons un jour…

Il ne tiendrait qu’aux pédagogues d’avoir la même puissance en déployant les mêmes moyens, c’est-à-dire en s’adressant à la curiosité de l’enfant au moment où elle s’éveille et sur les points où elle est éveillée. De tout temps, ils y songèrent mais il est curieux de voir comment, en même temps que les peintres pliaient leur conception du portrait de l’enfant à sa nature, les pédagogues y plient leur idée de l’éducation. « Au mur des classes, dit l’auteur d’un Projet d’enseignement basé sur la psychologie de l’enfant, nous aurions des gravures, des photographies, de quoi allumer la curiosité dans quelqu’une de nos petites têtes. De là viendraient des questions. Celles-ci motiveraient des explications. Les explications amèneraient à proposer des lectures. Les cartes seraient consultées incidemment pour situer une aventure de voyageur, ou un peuple aux habitudes intéressantes. La géographie, comme l’entend un professeur, n’arriverait donc que pour encadrer aux yeux des enfans les scènes qui auraient excité leur curiosité… » Voilà, certes, une méthode singulière et bien du chemin parcouru depuis le temps où le professeur infligeait au cerveau la torture mnémotechnique des îles de l’Océanie ou des affluens du Mississipi. Considérez ces classes peintes par Bonvin : les petites têtes rangées devant le maître d’école se remplissent comme elles peuvent de ces kyrielles de notions extraordinaires qu’elles n’ont point désire posséder, hier,