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Croit-on que la reine Victoria, parce qu’elle avait 132 poupées, se soit amusée 132 fois plus qu’une petite fille de la salle d’asile qui n’a qu’une poupée ? Croit-on que l’élève d’une grande école, auquel on enseigne un millier de notions, soit dix fois plus savant qu’un enfant qui n’en aura recueilli que cent et qui se les sera assimilées ? Ou n’est-il pas évident que l’esprit est actif et qu’il est capable d’un certain effort de divertissement — quel que soit le nombre de ses jouets — et d’un certain effort de travail — quel que soit le nombre de ses leçons — et que ni l’ingéniosité du camelot, ni l’érudition du professeur ne sont capables d’amuser ce qui est déjà las de plaisir ou d’instruire ce qui est saturé d’enseignement ?

Notre esprit, en réalité, est actif et il ne s’enrichit que de ce qu’il désire. Observons comment se fait l’acquisition de nos connaissances. Notre premier moteur est la curiosité. Nous apercevons un phénomène, nous apprenons un fait, nous voyons une œuvre due au génie humain, et aussitôt s’éveille en nous le désir de connaître les raisons de ce phénomène, les causes de ce fait, les matériaux et la façon de cette œuvre. Pour y parvenir, nous cherchons, dans notre mémoire, si nous n’avons pas constaté un phénomène, un fait, des œuvres semblables en apparence à ceux que nous examinons. S’il y en a, nous les comparons et nous cherchons ce qui peut avoir produit les uns et les autres. Comment ? En interrogeant. Qui ? Les personnes les plus compétentes, les mieux instruites dans la question dont il s’agit. Cette interrogation se fait par la lecture de leurs livres, peut-être, mais c’est bien une interrogation. C’est-à-dire que, poussés par une curiosité sur un objet déterminé, nous demandons à leurs livres seulement ce qu’ils contiennent sur cet objet. Mais voici qu’en lisant le passage qui nous intéresse, nous sentons que, pour le comprendre, il faudrait en avoir lu d’autres et que, pour résoudre la question que nous nous sommes posée, il faudrait connaître déjà la solution de questions antérieures. Nos doigts, en fouillant la terre, rencontrent des racines multiples et diverses. Pour comprendre ce phénomène, il faudrait savoir un peu de physiologie ; ce fait historique, les faits qui l’ont précédé, les lois et les mœurs qui l’ont rendu possible ; pour saisir le fonctionnement de cette machine, il faudrait s’enquérir de la façon dont on fabrique le fer, l’acier et dont se comporte la vapeur.

Nous les étudions donc, puisqu’il le faut pour satisfaire notre