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Enfin arriva la nomination du rapporteur. On consulta l’Empereur et Rouher. Ils se prononcèrent contre moi : ils jugeaient impolitique d’accorder à l’opposition le mérite d’avoir assuré le succès d’une loi populaire. L’Empereur dit à Morny : « Vous devriez tout faire pour empêcher la nomination d’Ollivier. » — Morny répondit : « Je mettrai tout en œuvre pour la faciliter. » Chevandier et Thoinnet, sur ses recommandations, entraînèrent les hésitans, et je fus nommé.


V

« L’on a plus de peine dans les partis à vivre avec ceux qui en sont qu’à agir contre ceux qui y sont opposés[1]. » Dès rentrée de Jules Simon, il y avait eu dans la gauche une volonté sourde d’agression contre moi[2]. On avait cru m’anéantir par l’exaltation de Thiers. On disait : Enfin la liberté a trouvé son orateur ; on entend pour la première fois depuis l’Empire le langage de la vraie politique, etc. Ce que m’avait prédit Girardin se réalisait. Sans me croire anéanti, j’avais fait chorus en toute sincérité, mais mes amis n’avaient pas permis qu’on me fît disparaître dans l’ombre du grand orateur, et cela avait attisé encore les mauvais vouloirs.

Pendant qu’il annonçait dans la commission qu’il allait voter pour la loi, Jules Simon s’occupait d’organiser une opinion hostile à la loi et à son rapporteur, dans les salons, dans les ateliers, dans la presse, parmi mes collègues. Sur ses récits, les journaux l’Europe, le Progrès de Lyon, la Gironde, le Phare de la Loire, l’Indépendance belge, etc., racontaient, en les altérant, les séances de la commission ; nos rédactions provisoires étaient reproduites, et l’on me représentait comme un ennemi du peuple, acharné à aggraver les pénalités. Un jour, j’arrive à la Chambre ; on me montre un amendement sur le droit commun, écrit par Jules Simon et qu’il faisait circuler à la sourdine. Je me récrie ; j’aborde Simon et lui dis que, quand deux membres d’un parti soutenaient dans une commission un avis différent, il n’était

  1. Retz.
  2. Hector Pessard, Mes petits papiers, p. 91 : « Si l’Empereur avait su exactement comme était divisée la petite armée d’opposans, s’il avait connu les jalouses défiances excitées par Ollivier, le parti pris de Jules Simon contre Ernest Picard et Ollivier, l’Empereur ne se fût point mis martel en tête et eût pu, tout à son aise, faire de l’histoire romaine. »