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inventés pour les enfans et les jeux inventés par les enfans. Tous les jeux’ inventés pour eux supposent que les enfans ne sont pas encore des hommes. Tous les jeux inventés par eux supposent qu’ils sont déjà des hommes. Les plaisirs qu’imaginent les entrepreneurs d’amusemens pour ces petits êtres sont un peu comme les plaisirs imaginés pour les provinciaux par les entrepreneurs de la Rue de Paris, à l’Exposition de 1900. Ils préétablissent que ces intelligences naïves ne peuvent se divertir que de l’absurde et qu’elles s’ennuient de l’utile. Alors ils créent des divertissemens qui n’ont aucun rapport avec les réalités de la vie. Les jeux, au contraire, inventés par les enfans eux-mêmes, sont tous des imitations de la vie.

Ils jouent à la maman, au cocher, air médecin, au soldat, votre au député ou au marchand de journaux. Le Meeting de Marie Baschkirlseff est composé d’enfans qui jouent sûrement ù la politique. Ils jouent même à des choses sérieuses : à grimper aux arbres, à manier adroitement une balle, à s’associer pour quelque exercice en commun où, selon l’aveu même de leur ennemi La Bruyère, « ils sont vifs, appliqués, exacts, amoureux des règles et de la symétrie, où ils ne se pardonnent, nulle faute les uns aux autres, et recommencent eux-mêmes plusieurs fois une seule chose qu’ils ont manquée, » — toutes occupations qui, pour s’appeler « jeux, » les préparent peut-être à la vie mieux que bien d’autres appelées « travail. » Les gens qui, dans les cirques, dressent les jeunes chiens à passer à travers des cerceaux, appellent cela « travailler, » tandis que s’ils voient ces mêmes chiens se poursuivre sur la pelouse, se renverser, lutter et feindre de se mordre, ils disent vraisemblablement qu’ils « s’amusent ; » mais, dans le premier cas, les pauvres bêtes ont appris, avec mille efforts, un exercice totalement inutile, et, dans le second elles se sont exercées à poursuivre, à joindre, à saisir leur proie, ce qui est la grande affaire de leur vie de chien. De même, dans la vie de l’enfant, il arrive qu’examiner des insectes, tracer des bonshommes, loger une balle dans un but avec exactitude, lire des voyages qui donnent le goût de l’aventure et de l’observation, c’est ce qu’on appelle des occupations frivoles, quand on appelle sérieuses celles qui consistent à réciter les noms de rois problématiques de l’époque mérovingienne ou les formules des philosophies qu’il n’entend pas. Mais cette signification donnée aux termes est fort aventurée.