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n’est pas pour cela qu’ils se battirent dans le monde entier ! Si l’on veut consacrer une vitrine aux jouets des hommes, parmi toutes ces vitrines consacrées aux jouets des enfans, qu’on y mette d’humbles objets bien simples, bien vieux, bien peu savans : une médaille de fer-blanc, au milieu d’une croix, où tout un peuple a cru voir l’étoile aux rayons infinis partant de la poitrine d’un soldat, allant sillonner le monde, puis un carré d’étoile où l’on a cru apercevoir le visage invisible de la Patrie, et aussi ce bâton mystérieux, que tout conscrit promena, sans jamais le voir, à travers l’Europe, dans sa giberne… Voilà les choses par lesquelles vraiment les hommes furent enthousiasmés, consolés dans leurs crises de larmes, récompensés dans leurs efforts vers le progrès, vers la croissance, vers la vie, parce que ces choses elles-mêmes n’étaient rien, mais parce que les rêves qu’ils y attachèrent furent infinis… De même, si vous voulez nous montrer ce qui a consolé les âmes dans les heures où elles pleurent comme des enfans, n’exposez pas les jouets philosophiques savamment construits pour elles par les plus hautes intelligences de ce monde, mais bien plutôt les légendes qu’elles se sont faites à elles-mêmes, les croyances rudimentaires qu’elles ont adoptées, parce qu’elles fournissent moins de travail à leur intelligence et davantage à leur imagination…

L’enfant jouit beaucoup par son imagination. Il anime tout ce qui le touche : il prête à chaque objet des besoins et des sentimens pareils aux siens propres. Regardez ce portrait du jeune marquis de Pange montrant à lire à son polichinelle. L’enfant y est représenté dans sa fonction d’auteur dramatique. Il suppose à sa poupée ou à son pantin des impressions ; il lui suggère des désirs, il lui invente des répliques. « Un garçonnet de deux ans et demi, raconte M. James Sully, demanda un jour à sa mère : « Veux-tu me donner tous mes livres d’images pour les montrer à ma poupée ? Je ne sais pas lequel elle préférera. » Il indiqua du doigt chacun l’un après l’autre et regarda la figure de la poupée pour avoir une réponse. Il fit comme si elle en avait choisi un et lui montra gravement les images en disant : « Regarde, petite, » et en les lui expliquant avec soin… » Évidemment, si un enfant fait ainsi sentir et parler un morceau de bois, il sait bien que ce sont ses propres sentimens et sa propre pensée qu’il exprime. Mais le morceau de bois lui est utile pour opérer ce dédoublement et pour objectiver ses imaginations, comme était