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qu’il se met naturellement en face de lui, avec des yeux neufs, l’attention éveillée par toutes les contradictions et les bizarreries du pays de la vie que nous n’apercevons plus pour y avoir trop longtemps séjourné. Il a le don de l’étonnement, don précieux que nous avons perdu, et celui de l’admiration, plus précieux encore, que nous n’avons pas assez conservé. Ne plus s’étonner, c’est être inerte à tout progrès de la pensée. Ne plus admirer, c’est être inerte à toute joie. S’étonner, c’est penser ; admirer, c’est jouir. L’enfant est tout étonnement et tout admiration : il est sollicité par mille désirs. Il questionne, questionne, questionne… Il demande, demande, demande… Et souvent ses questions sont de celles auxquelles on ne veut pas répondre. Et ses demandes, des choses qu’on ne peut lui donner. Mais tant qu’il les fait, il vit d’une vie intense, la vie de l’explorateur, — la vie forte des peuples primitifs, cherchant à comprendre même l’inconnaissable et voulant conquérir même l’intangible. Un jour vient où il ne questionne plus. Prenez garde, c’est qu’il a dans sa tête une réponse, c’est-à-dire, la plupart du temps, une erreur. Un jour vient où il ne demande plus rien. Prenez garde, c’est qu’il a dans la main une arme, c’est-à-dire, la plupart du temps, un danger. À ce moment précis, l’étonnement de son regard s’efface. Le fameux mot de Thomas Vireloque, montrant un gamin : « Ça n’a encore été éduqué aucunement et déjà stupide ! » n’est qu’une boutade. Tant qu’il n’est pas encore éduqué, l’enfant demeure un esprit logique. Mais le prend-on, l’éduque-t-on, meuble-t-on son cerveau de notions abstraites ? Il ne cherche plus la raison des choses. Il se paie de mots. De ce jour, ce n’est plus un enfant : c’est un homme. Il est docile, bon à gouverner, grâce à des formules qu’il ne comprend pas ; bon à agiter aussi, grâce à des formules qu’il n’entend pas davantage ; mais l’explorateur qui était en lui est bien mort…

Heureux si l’artiste a pu fixer son geste, c’est-à-dire son effort ! Souvent on voit l’enfant tenté de saisir et de refermer entre ses doigts une boule trop grosse pour ses mains trop petites, comme dans l’esquisse de James duc d’York par Van Dyck ; c’est le résumé de tous les premiers gestes du petit être pour conquérir le monde. Son effort dépasse de beaucoup son pouvoir. Mais, au point de vue esthétique, la faiblesse est une grâce ; non pas, il est vrai, toute faiblesse, non la faiblesse du vieillard, mais celle de l’enfant. Ce sont choses très différentes, chez l’enfant, la