Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petite cloche, une petite toupie en place d’une grande toupie, et, près du grand panier, un petit panier. Aux petits garçons, chez Chardin, les mêmes bas de soie qu’aux hommes, les mêmes manches « en bottes, » le même habit à paniers, un petit catogan au lieu d’un grand, une aiguille au lieu d’une épée. Voilà toute la différence. Dans toutes les classes de la société, depuis les petits vilains de Le Nain jusqu’à la fille de Largillière, chantant une romance, toute droite dans son fourreau, entre son père revenu de la chasse et sa mère attentive, l’homme d’autrefois était incapable d’imaginer qu’il pût y avoir quelque chose de plus beau pour un enfant que d’être déjà, paré comme un homme. Quand on regarde les costumes des enfans de Charles Ier, ou ceux de Philippe IV, ou ceux du Dauphin, fils de Louis XV, ou imagine qu’elle eût été leur stupéfaction, s’ils avaient pu prévoir les costumes marins, les jambes nues des petits garçons des souverains actuels de l’Europe. Un des traits les plus frappans de la vie contemporaine est cette création d’un costume spécial à l’enfance, c’est-à-dire ce respect des conditions particulières de son confort, de son hygiène et de sa beauté. C’est aussi la diffusion de ce costume à tel point qu’il n’est pas un quartier, si pauvre soit-il, de nos grandes villes où l’on ne voie, au moins le dimanche, les gamins porter ce que pendant des siècles les fils des plus grandes familles ne connurent pas : des vêtemens faits pour eux.

Costume égalitaire, d’ailleurs. C’est dans le même « marin » qu’apparaissent aujourd’hui les enfans de l’école primaire et les enfans de l’empereur de Russie. Parcourons tous ces portraits et même les photographies récentes qui y sont annexées : nous n’y trouverons pas de signes pouvant nous éclairer sur les conditions sociales des divers bambins. Selon la fantaisie du peintre, de lanière, de l’enfant lui-même, le costume est riche ou simple, ou encore il n’est pas du tout. Enfant pauvre, enfant riche, petit prince, enfant trouvé sur le pas de la porte avec le coin d’une lettre sortant de ses langes, comme on voit chez M. Louis Deschamps, sont tous également rois, s’ils sont beaux, dans cet uniforme royaume qui précède le territoire accidenté de la vie. La petite Diana, fille de la marquise de Granby, a été peinte par M. J. -J. Shannon, les pieds nus. Miss Mabel Galloway a été peinte assise sur une table à manger par M. E. T. Grégory. C’est la fin de toute étiquette. Mais c’est le commencement de toute vérité.