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parens, que des sujets d’observation spécifique, et la peur d’Astyanax ou la finesse du petit duc d’York bien plus révélatrices du sentiment d’Hector ou de l’hypocrisie de Glocester que de l’âme même de l’enfant grec ou de l’enfant d’Edouard. De même, le pédagogue n’observe l’enfant qu’en vue de l’homme qu’il faut qu’il soit : il ne l’observe que pour le réformer. Ainsi, dans toutes leurs œuvres, les écrivains nous donnent un portrait de l’enfant déjà tout assombri des préoccupations de l’âge mûr. Le peintre, lui, n’a pas ces préoccupations. Il représente l’enfant tel qu’il est, sans une seule touche qui soit inspirée par une idée d’avenir. Il arrête son examen au moment précis où il pose son pinceau sur la toile, heureux de saisir, dans le petit être, ce qui reste encore de cette grâce céleste que l’âge n’a pas encore effacée. L’historien, le pédagogue, y voient déjà un homme ; le peintre y voit encore un ange.

Naturellement, il s’agit seulement de cet être encore indéterminé, gracieux, bizarre, bruyant, qu’on nomme en anglais le Child, et qui n’a pas atteint ce qu’on appelle « l’âge ingrat. » A l’âge ingrat, on ne devrait jamais faire le portrait de l’enfant, puisque c’est l’âge où les peintres religieux n’osent pas même faire le portrait du Christ. A l’heure où le modèle cesse d’être un enfant pour devenir un adolescent, il n’offre plus d’intérêt ni pour le peintre ni pour le philosophe, car il n’est plus un original, il n’est plus qu’une copie : la copie maladroite de l’homme fait. Et cette heure se lit dans les yeux. Dans la galerie de portraits d’en fa us qui est au Petit Palais, vous en apercevrez plusieurs qui ne devraient pas y figurer : ce ne sont plus des enfans. Vous vous en apercevrez non pas à la taille, non pas à l’anatomie, non pas au costume, non pas aux gestes de ces petits personnages, mais à leurs yeux.

Ces yeux sont comme des miroirs de métal tout neufs : le monde s’y reflète avec tous ses détails, ses eaux, ses insectes, ses fleurs, ses nuages, ses objets brillans, ses géans méchans et bons pêle-mêle, miroir clair où tout se mire, jusqu’aux bords extrêmes de la circonférence réfléchissante, sans rien y troubler. Ainsi, l’eau pure d’un lac reflète, sans être troublée, des montagnes accidentées, des forêts terrifiantes, des catastrophes de nuages, des rochers penchés sur ses bords. Plus tard, avec l’âge, le miroir s’use, s’éraille, se rembrunit. Des choses passent devant lui qui ne s’y reflètent plus qu’à demi. L’esprit fatigué,