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combien je suis sensible à vostre souvenir. Rien ne diminuera jamais mon respect et ma tendresse pour vous. Le sang, mon cher père, ce fait sentir bien vivement dans touttes les ocations, et, quoique ma destinée soit malheureuse puisqu’elle me fait estre dans un parti contraire au vostre, vos intérest sont si fort imprimé dans mon cœur que rien ne me fera jamais souhaitter contre. Mais celle mesme tendresse ne fait qu’augmenter ma douleur quand je songe que nous sommes au nombre de vos ennemis. J’avoue que l’amitié pourroit estre un peu blessée de voir que vous estes contre vos deux filles, mais pour moy je ne la serai jamais contre vous et je ne vous regarde que comme un père que j’aime plus que ma vie. Mes ce n’est point dire assés puisque je la sacrifirois volontier pour vous, et que vostre intérest et lunique but de mais désirs presans. Permettés moy donc, mon cher père, que j’avance d’un jour ce premier de l’année pour souhaiter que celle où nous allons entrer voie la fin de mon malheur en nous réunissant en semble d’une manière qui me comble de joie, vous dire qu’il ne tiendra qua vous, qua vous, de me rendre la plus heureuse personne du monde. Mais je crains de vous estre importune par la longueur de cette lettre. Mais pardonnés-moy la liberté que je prends. Je ne puis mempêcher de vous assurer une fois au moins par ans de ma tendresse et de mon respect, et de vous demander en mesme temps la continuation, mon cher père, de vostre amitié. Je croy la mériter et ne men rendre jamais indigne. »

Peut-être trouvera-t-on qu’elle va un peu loin lorsqu’elle dit, fût-ce à un père, « qu’elle ne souhaitera jamais rien contre ses intérests. » Mais ne faut-il pas faire la part d’une certaine exagération dans les termes inspirés par la tendresse et par l’espoir qu’elle pouvait toujours conserver de ramener un prince qui ne se piquait point de fidélité à ses engagemens, puisque deux fois déjà il avait changé d’alliance. D’ailleurs, lorsque la France soutenait la guerre à la fois en Flandre, en Espagne et en Savoie, était-il si criminel à une princesse d’origine savoyarde de souhaiter que la France triomphât plutôt aux dépens de Marlborough ou de l’archiduc Charles que de son propre père ? Dans les rapports de la Duchesse de Bourgogne avec Victor-Amédée à l’époque de la bataille de Turin, il nous est donc impossible de voir rien qui sente la trahison, ni qui soit indigne d’une princesse devenue Française.