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Il dut les plus hautes faveurs, jusqu’à son bâton de maréchal, à sa situation de gendre de Chamillart, et ne s’en montra jamais digne. Dans ses nombreuses lettres à son beau-père qui ont été publiées[1] ou qui sont aux Archives de la Guerre, il étale à la fois sa présomption et son incapacité, sur laquelle Chamillart semble au reste ne s’être fait aucune illusion. L’accusation a été portée contre lui de s’être, dans toute la conduite de cette affaire, laissé influencer par le désir de plaire à la Duchesse de Bourgogne en ménageant son père. À propos de cette accusation, voici ce que nous avons trouvé dans les Souvenirs inédits de Mlle d’Aumale.

« Il est bien vrai que Mme la Duchesse de Bourgogne prit des précautions pour évitter que M. le Duc de Savoye son père ne fist pas entièrement dépouillé de ses états, mais ce qu’elle fist pour cela ne ressemble en rien à ce que les deux auteurs dont je viens de parler en ont rapporté[2]. Voicy comme la chose se passa, et je peux dire qu’on peut compter sur la vérité de mon récit. Mme la Duchesse de Bourgogne auroit inutilement tenté de séduire Mme de M… et de se faire instruire par elle des secrets de l’État, supposé qu’elle les seul : ce ne fut point la routte qu’elle prit, mais ce que je sais d’une personne qui le tient de M. de La Feuillade même, c’est que M. de La Feuillade, nommé pour l’expédition du siège de Turin, avoit envie de plaire à la Duchesse de Bourgogne, et, avant de partir pour l’armée, esfant venu prendre congé d’elle, ses charmes qu’elle redoubla par les manières les plus flatteuses firent prendre à ce seigneur le dessein de ne la pas chagriner en dépouillant le Duc de Savoye. « Ne pousse/ pas mon père à bout, » lui dit-elle entre haut et bas. Ce peu de paroles,

  1. Michel Chamillart, contrôleur des Finances et secrétaire d’État de la Guerre, par l’abbé Esnault.
  2. Les deux historiens auxquels Mlle d’Aumale se préoccupe de répondre paraissent être La Beaumelle et Reboulet, auteur d’une Histoire de Louis XIV, qui parut en 1742. La première édition de La Beaumelle étant de 1752 et Mlle d’Aumale étant morte en 1756 à 69 ans, le manuscrit d’où nous tirons cette citation aurait donc été commencé assez peu de temps avant sa mort. Ce manuscrit, auquel nous avons déjà fait plusieurs emprunts, n’est pas en effet celui dont Lavallée avait annoncé et préparé la publication et que nous avons également en notre possession. C’est une autre version des mêmes Souvenirs, qui, après avoir été la propriété de Monmerqué, est devenue celle de M. Hanotaux. Nous préparons tous deux de concert la publication de ces deux manuscrits, et nous réservons pour le moment de cette publication les renseignemens et commentaires que nous aurons à fournir au sujet de leur provenance, de leur authenticité, et de leurs ressemblances ou différences.