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mois : « Madame la Duchesse de Bourgogne pleura hier Monsieur son fils comme le jour de sa mort, parce que c’était celui de sa naissance[1]. » La perte, il est vrai, fut réparée en 1707 par la naissance d’un second Duc de Bretagne, mais il naissait dans des circonstances si tristes que sa venue au monde ne donna lieu à aucune réjouissance, au moins publique. Mlle d’Aumale dit, en effet, dans ses Souvenirs inédits : « Madame la Duchesse de Bourgogne accoucha d’un second fils, qui fut, comme le premier, nommé Duc de Bretagne. Le Roi, de plus en plus sensible aux calamités de son peuple, fit donner ordre à Monsieur d’Argenson, alors lieutenant général de police à Paris, d’empêcher qu’on y fît aucune dépense extraordinaire. Il fit faire la même défense aux habitans de Versailles, et ajouta hautement « qu’il souhaiteroit fort que la joie de ses sujets ne se montrât que par leur empressement à prier. »

Ce second Duc de Bretagne devait finir prématurément comme le premier. Il semble bien qu’il dût survivre de quelques jours à sa mère, que la Duchesse de Bourgogne en ait eu le pressentiment, car elle écrivait à son sujet, à sa grand’mère, une lettre singulière. Après avoir dit « qu’il n’est pas beau jusqu’à cette heure, mais fort vif et beaucoup mieux qu’il étoit en venant au monde, » elle ajoute : « Je ne le vais voir que très rarement pour ne m’y point trop attacher, et aussi pour y trouver quelque changement, car l’on ne sauroit encore s’y amuser, et, pourvu que je le sache en bonne santé, je suis contente, et c’est tout ce qu’il faut souhaiter sur cela. »

Elle eut aussi de cuisans chagrins, qu’elle dut au plus touchant et au plus respectable des sentimens : la tendresse qu’elle avait conservée pour sa famille. Nous avons vu qu’elle était restée singulièrement attachée à sa grand’mère, à sa mère et même à son rude père, avec qui elle se bornait cependant à échanger une lettre en fin d’année, et encore ne lui répondait-il pas toujours. Elle aimait aussi sa sœur, la reine d’Espagne, qu’elle s’était réjouie de voir épouser le frère de son mari et monter sur un trône avant elle. S’il n’y a point trace, aux archives d’Alcala, de correspondance directe entre les deux sœurs (on sait que la Duchesse de Bourgogne n’aimait guère à écrire), on voit, par ses lettres à sa mère, à sa grand’mère, à Philippe V, l’intérêt qu’elle ne cessait

  1. Correspondance générale, t. V, p. 326 et 390.