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serait de perdre courage. » Souvent aussi il parle à Beauvillier de la Duchesse de Bourgogne et cherche à avoir par lui des nouvelles de cette épouse négligente. N’oublions pas en effet que c’est la période, si dure pour lui, où la Duchesse de Bourgogne, toute à son manège avec Nangis, ne faisait même pas l’effort de lui écrire et le réduisait, pour avoir de ses nouvelles, à adresser à Mme de Montgon les lettres à la fois bizarres et touchantes que nous avons autrefois citées[1]. Cette absence de nouvelles, dont il ne connaît pas la cause, le jette dans l’inquiétude. Parfois « l’ardeur de la poudre, le bruit du canon, la vue des morts et des blessés, » ne servent qu’à lui donner de noires idées. Il craint que la Duchesse de Bourgogne ne soit malade, et qu’on ne lui en fasse un mystère. C’est alors à Mme de Montgon qu’il s’adresse : « S’il étoit arrivé quelque chose de conforme à mes noirs pressentimens, lui écrit-il, j’établirois ma promenade sur les palissades du chemin couvert pour y trouver la fin de mes ennuis, et m’estimerois heureux, si elle étoit malade, d’attraper quelque coup de mousquet qui me réduiroit dans le même état[2]. »

Quant à ses dépêches, elles sont bien tournées, sans être brillantes. Pas plus au reste que Tallart, il ne semble se rendre un compte exact de la partie périlleuse qui se joue en Allemagne et de l’intérêt qu’il y aurait à prendre une offensive vigoureuse pour retenir le prince de Bade et l’empêcher de porter son armée sur les derrières de Villars. Pendant tout juin et tout juillet, des dépêches incessantes s’échangent entre Versailles et l’armée du Rhin sur la question de savoir s’il est préférable de mettre le siège devant Landau, devant Neuf-Brisach ou devant Fribourg. Le Roi tient pour Landau et surtout Fribourg. Tallart et le Duc de Bourgogne tiennent pour Brisach. Tout en soutenant son sentiment, qui n’est que celui de Tallart, le Duc de Bourgogne s’excuse d’entrer en contestation avec le Roi. « Je dois demander, écrit-il, encore une fois pardon à Votre Majesté, de la liberté de mes raisonnemens sur des choses qu’elle connoist beaucoup plus à fond que moi. Je profiterai des avis qu’elle a la bonté de me donner et surtout sur la patience pour ne rien risquer par une précipitation de jeune homme qui pourroit estre mal à

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1899.
  2. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par le marquis de Vogüé, p. 152-202-204.