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campagne précédente par la brillante victoire de Friedlingen, à la suite de laquelle il avait été nommé maréchal de France. Nul mieux que lui n’aurait su donner de bonnes leçons d’offensive à un jeune prince chez qui paraissaient faire défaut, sinon le courage personnel, du moins la hardiesse et le coup d’œil. Mais Villars avait conçu pour la prochaine campagne un projet audacieux. C’était, à la tête de l’une des deux armées du Rhin, de franchir le fleuve, de traverser la Forêt-Noire et d’aller donner la main à l’Electeur de Bavière, qui occupait avec son armée les environs de Munich. Vendôme, passant par le Trentin et par le Tyrol, l’aurait rejoint à la tête de l’armée d’Italie, et les trois généraux, réunissant leurs forces, auraient marché sur Vienne par la vallée du Danube, pendant que l’autre armée du Rhin aurait retenu et contenu celle commandée par le prince de Bade.

Le plan était grandiose et digne du futur vainqueur de Denain. Mais il était hasardeux. Le succès en pouvait être éclatant, comme il pouvait se terminer par un désastre. Il n’entrait pas dans les desseins de Louis XIV d’associer l’héritier du trône à une expédition aussi aventureuse. La lente et sûre guerre de sièges, qui était dans les traditions de sa jeunesse, et où il avait cueilli, autrefois, de faciles lauriers, lui paraissait préférable. Il résolut de l’associer à Tallart, qui commandait l’armée destinée à manœuvrer le long du Rhin. Le choix n’était pas heureux. Tallart, qui s’était montré bon diplomate dans son ambassade auprès de Guillaume III, était un assez pauvre général, et il devait être plus que malheureux, l’année suivante, à Hochstaedt. L’honneur de commander sous le Duc de Rourgogne paraît avoir été médiocrement ressenti par lui. Il répondait assez froidement à la dépêche par laquelle la prochaine arrivée du Prince lui était annoncée, et nous verrons tout à l’heure qu’il n’eut qu’une idée : celle de le renvoyer le plus tôt possible à Versailles.

Le Duc de Bourgogne partit pour rejoindre l’armée qu’il devait commander, le 28 mai. Le marquis de Villacerf, qui était attaché à la maison de la Duchesse de Bourgogne, aurait voulu qu’il s’arrêtât chez lui ; mais, dit Sourches, « n’ayant d’autre objet que la gloire, il refusoit tout ce qui pouvoit le retarder un moment en chemin[1]. » Il atteignait Belfort le 2 juin, et en repartait immédiatement pour Strasbourg, où il arrivait la veille de la

  1. Mémoires du marquis de Sourches, t. VIII, p. 87.