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une manière de géant, coiffé d’un béret bleu, ayant, aux jambes, le bas écossais, la taille prise dans une blouse de drap bourru et maintenue par une ceinture de cuir ; il portait en bandoulière la boîte du photographe et s’appuyait sur une canne, car il boitait légèrement. Il avait la figure rouge, la barbe rousse et hirsute, le teint bistré, les mains fortes, les yeux verts, petits et clignotans. C’était un Anglais. Il savait assez de français pour suivre, non sans peine, le parler rapide et l’accent provençal du gardien.

Je commençai la visite. A un moment, je me trouvai près des interlocuteurs, qui s’étaient arrêtés devant un buste de femme coiffée d’un nœud de cheveux épais sur le haut de la tête. L’Anglais paraissait réfléchir. Il se tourna à demi vers moi, et, après avoir hésité un instant, il dit : « Ces gens avaient, comme nous, des modes qui changeaient probablement d’une année à l’autre. » Je venais de prendre une note d’après une inscription antique. Je la lui montrai en riant : « Tenez, lui dis-je, voyez la jolie inscription. N’est-elle pas d’hier et ne l’aurions-nous pas entendue de la bouche de quelque fille aux yeux noirs, le long de l’avenue Feuchères ? — Je ne vends mes bouquets qu’aux amoureux : NON VENDO NIS AMANTIRVS CORONAS. »

Nous marchâmes côte à côte en continuant la tournée. L’Anglais s’arrêta devant la belle tête du Mercure de marbre. Il posa une question au gardien, à propos d’un buste de l’empereur Commode. Il examina les monnaies avec une attention de myope ; il paraissait renseigné, et les pièces « à la patte de sanglier » retinrent son attention. Ce furent des aoh ! et des yes ! qui excitèrent la volubilité du cicérone. Celui-ci se mit à nous raconter en détail comment des voleurs avaient pénétré, l’année précédente, dans le musée par la fenêtre du toit et s’étaient emparés de toute la collection de médailles ; comment, grâce à sa propre vigilance, ils avaient été cernés et le butin retrouvé. L’Anglais écouta tout ce récit avec bienveillance, et, quand le gardien eut fini, il lui dit, d’un ton convaincu : « Et vous n’êtes pas décoré ? » Le gardien répondit : « Non, Monsieur ; on m’a, tout bonnement, donné quatre cents francs. » L’Anglais fit une moue, et il alla se planter devant un fragment de statuette en marbre qui occupe une des encoignures : c’est un corps de danseuse drapé ; la tête et les pieds manquent. Tel quel, le morceau est enlevé dans un élan si juste, les vêtemens se prêtent si naturellement au rythme de la danse, les jambes se lèvent et tournent d’un mouvement si souple que le débris anime de sa vie et de