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vaincu. Dans un pays où l’administration est si curieuse, et où la manie de la statistique est poussée si loin, le contribuable trouvera tout simple qu’on tienne à savoir son revenu, uniquement pour le plaisir de le savoir et de raisonner ensuite, en capitalisant le chiffre, sur la fortune même de la France. C’est apparemment pour quelque académie des sciences politiques qu’on fera ce beau travail, plus encore que pour le ministère des Finances : il sera fait, toutefois, par ce ministère. Dès lors, dans sa naïve confiance, le contribuable livrera tous ses secrets à l’agent des contributions directes qui viendra les lui demander. M. Merlou estime-t-il vraiment que les choses se passeront ainsi ? Quoi ! On ferait un impôt de statistique qui aurait tous les inconvéniens de l’impôt sur le revenu et n’en aurait pas le seul avantage qui l’excuse, celui de rapporter du moins beaucoup d’argent au Trésor ! On ouvrirait tous les tiroirs, tous les coffres-forts, tous les porte-monnaie, toutes les cachettes du contribuable, uniquement pour s’instruire et dresser des tableaux, et sans d’ailleurs lui rien demander, ni lui rien prendre ! Qui croirait à une pareille ineptie ? La vérité est que M. Merlou crée définitivement les cadres de l’impôt global et progressif sur le revenu : il n’y aura plus ensuite qu’à les remplir, et rien ne sera plus facile. Tout aura été préparé pour cela avec un art consommé. Les revenus des contribuables seront répartis en huit catégories allant de 1250 francs à 100 000 francs et au-dessus. Au-dessous de 1 250 francs, on ne paiera rien. De 1 250 francs à 2 500, de 2 500 à 5000, de 5 000 à 10 000, de 10000 à 25 000, de 25 000 à 50 000, enfin de 50 000 à 100 000, puis au-dessus de 100 000, on paiera, pour commencer, une somme de 10 centimes sur 1000 francs pour la première catégorie, de 15 centimes pour la seconde, de 20 centimes pour la troisième, etc. Qui ne voit que M. Merlou établit là des coefficiens progressifs à l’état embryonnaire sans doute, mais qui suivent une marche ascendante très rapide, et qu’il suffira de multiplier par un chiffre quelconque pour en faire la vis de pression la plus énergique et la plus odieuse à laquelle la fortune des contribuables aura jamais été soumise ? L’impôt de statistique se présente pour le moment comme une simple silhouette d’impôt ; mais on lui donnera de la substance quand le jour sera venu. La machine opératoire sera prête ; il ne restera qu’à l’appliquer au patient.

On n’a pas assez rendu justice à M. Merlou ; c’est un habile homme. Seulement, il ne s’est pas suffisamment souvenu que nous étions à la veille des élections, et que la plupart des députés qui se montrent les partisans les plus ardens de l’impôt sur le revenu se sou-