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troduisent non seulement la main avide, mais encore l’œil indiscret du fisc dans le secret de toutes les fortunes privées. Inévitablement le contribuable criera et regimbera. Lorsqu’on ne se contentera plus de présumer le revenu d’un commerçant au moyen des signes extérieurs sur lesquels est établie la patente, mais qu’on ira lui demander directement à quel chiffre ce revenu s’est élevé l’année précédente, en prenant des moyens rigoureux pour contrôler l’exactitude de sa déclaration, le commerçant se plaindra, et, même s’il est dans une période de prospérité, il protestera qu’on porte atteinte à son crédit. Le crédit, en effet, est d’essence délicate : il ne s’accommodera pas toujours des procédés d’investigation dont l’administration est coutumière. Lorsqu’on ne se contentera plus de présumer le revenu du petit propriétaire, du paysan labourant ses terres ou du fermier qui travaille sur celles d’autrui, d’après les signes extérieurs sur lesquels est établi l’impôt foncier, et qu’on ira lui demander directement à quel chiffre s’est élevé son revenu de l’année écoulée, le paysan, on peut en être certain, ne livrera pas à l’administration un secret qu’il cherche le plus souvent à cacher à ses proches voisins, et que parfois il n’avoue, ni à son meilleur ami, ni à sa femme, ni à ses enfans. Eh bien ! soit, qu’il le garde : on tâchera de le deviner sans lui. Si le commerçant, si le petit propriétaire, — et nous pourrions passer de même en revue tous les corps de métier, — ne veulent pas déclarer le chiffre de leur revenu, ou si l’on soupçonne leur déclaration d’être inexacte, l’agent des contributions directes fixera lui-même à vue de nez un chiffre approximatif. Il s’aidera pour cela des renseignemens qu’il pourra rassembler dans la commune, en causant avec les voisins, avec les domestiques, avec les jaloux, avec les rivaux ; et, au surplus, si le contribuable n’est pas content, il aura quinze jours pour faire ses observations.

Tel est le système : avons-nous besoin de démontrer qu’il est monstrueusement inquisitorial ? Mais c’est ici que M. Merlou montre son ingéniosité, tout en comptant un peu trop sur l’ingénuité du contribuable. Le contribuable, dit-il, ne se plaindra pas, il ne criera pas, il ne protestera pas, car on lui dira que, pour le moment du moins, il n’aura rien ou presque rien à payer. Que veut faire l’administration ? Une innocente statistique. Quel impôt établit-elle ? Un simple impôt de statistique, progressif sans doute, mais infiniment léger, dont le produit total ne s’élèvera pas à beaucoup plus d’un million, tout juste la somme nécessaire pour couvrir les frais de l’opération. Voilà ce qu’on dira au contribuable, et aussitôt il sera rassuré. M. Merlou en est con-