Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que restera-t-il donc pour discuter et pour voter le projet d’impôt sur le revenu ? Huit ou dix jours à peine. C’est se moquer du monde que d’entreprendre un pareil tour de force, et l’enfant sur la plage qui voulait, avec une coquille de noix, transporter la mer un peu plus loin n’était pas beaucoup plus déraisonnable.

Aussi est-il dès maintenant à peu près sûr que l’impôt sur le revenu ne figurera pas dans le budget qu’on nous prépare. Si la Chambre votait l’incorporation, le Sénat ne l’admettrait pas. Mais la Chambre la votera-t-elle ? Il faut s’attendre à tout. Les députés qui se sont mis à la tête de ce mouvement purement électoral seront peut-être d’autant plus tentés d’aller jusqu’au bout, qu’ils savent mieux pouvoir compter sur la résistance du Sénat. Le Sénat a bon dos : on rejettera sur lui la responsabilité de l’avortement final, et, comme il n’est pas sujet à réélection immédiate, il acceptera cette situation de bouc émissaire avec une certaine philosophie. Il est possible que les choses se passent ainsi. Pourtant nous aimerions mieux croire que la Chambre comprendra ce qu’il y aurait de décevant pour ses électeurs et de peu digne pour elle-même dans une manifestation aussi peu sincère, et qu’elle s’abstiendra de s’y livrer. Le paysan le plus illettré, perdu au fond de nos campagnes, aurait quelque peine aujourd’hui à la prendre au sérieux.

La commission du budget s’est trouvée en présence de deux projets qui ne valent guère mieux l’un que l’autre. Le premier, qui porte le nom de M. Merlou, — c’est celui dont on a déjà tant parlé sous le nom d’impôt de statistique, — fixe les cadres de l’impôt sur le revenu et ajourne l’exécution de la réforme au 1er janvier 1903. Le second, celui de M. Klotz, la réalise tout de suite. Le projet de M. Merlou est l’impôt sur le revenu honteux et sournois, n’osant pas se produire au grand jour sous son véritable aspect et avec ses conséquences immédiates. Mais, aussitôt établi, il se démasquerait et deviendrait effectif. Le projet de M. Klotz, au contraire, est l’impôt global et progressif sur le revenu dans les conditions les plus simples, les plus frustes, les plus grosses, par conséquent les plus propres à faire effet sur le corps électoral. Le premier va au but par une marche couverte, mais sûre ; le second donne l’illusion qu’on l’a déjà atteint et qu’on peut s’y établir fortement.

Voici comment a raisonné M. Merlou, au nom de la commission dont il est le rapporteur. Il serait très difficile, impossible peut-être, de faire accepter d’un seul coup l’impôt sur le revenu par le contribuable. Cet impôt donne lieu à des mesures vexatoires, qui in-