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ce ridicule reproche ; le comte de Chaudordy, dans une courageuse dépêche qu’il adressait au cabinet piémontais pour exprimer nos réserves au sujet de l’occupation de Rome, déclarait en propres termes, et avec le demi-assentiment de Gambetta, que « la France demeurait la fille aînée de l’Eglise[1], « et, fort de cette croyance, il sut défendre efficacement, en Syrie et à Jérusalem, contre l’Autriche et contre l’Italie, l’influence de la France vaincue. Instruits par l’exemple de ce diplomate, encouragés par son succès, Gambetta et Ferry proclamaient volontiers que l’anti-cléricalisme n’est point un article d’exportation ; alors les « Droits de l’homme, » de nouveau convoqués contre la patrie, accouraient à la rescousse du philosophe de Kœnigsberg et de ses disciples genevois.

« Point de convertisseurs, disaient les États-Unis d’Europe : la bonne politique est partout et toujours laïque. » La maçonnerie française s’agitait : pressentant peut-être l’influence qu’elle était appelée à prendre dans nos administrations d’outre-mer, elle dédaignait de prendre parti dans les débats dont la politique de Ferry était l’objet ; mais, à l’endroit des missionnaires, elle gardait ses coudées franches. Elle fit un succès, en 1885, à la conférence que donna, dans une loge, un magistrat angevin, M. Jeanvrot. Une brochure intitulée : La Question coloniale et la Maçonnerie ébruita cette conférence. On pouvait croire, en la lisant, que le procès intenté par Ferry contre la Chine, et dont nos armées accéléraient la solution, était susceptible de révision : c’est aux « privilèges exorbitans dont jouissaient les catholiques d’Annam » que M. Jeanvrot faisait remonter l’origine de la guerre. Son éloquence se mettait en frais pour dissuader la France de remplir sous d’autres latitudes ses fonctions historiques de fille aînée de l’Église : le « patriotisme théâtral de M. de Lavigerie, » en particulier, inquiétait M. Jeanvrot ; et, s’affichant comme le procureur général de l’internationalisme maçonnique, il méritait la gratitude du Grand-Orient de Rome en soulevant les défiantes colères de ses « frères » contre ce prélat qui, « secondé par une nuée de moines et de nonnes de tous poils et de toutes robes, dissimulant une propagande inavouable, nous exposait à des Vêpres tunisiennes. »

  1. Voyez le récit de ce curieux incident, qui fait beaucoup d’honneur à M. de Chaudordy, dans le livre instructif et piquant qu’a consacré M. Ernest Daudet à l’Histoire de l’Alliance franco-russe (Paris, Ollendorlf, 1894).