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cachet spécial. Elles sont quatorze qui grimpent, par une échelle de neuf mètres, au haut de ce praticable compliqué que les machinistes passent une demi-journée à établir. Leurs montures, fort nobles bêtes du côté de la salle, sont creuses du côté opposé, comme tous les chevaux de théâtre, destinés à être vus de profil. Ce sont des cartonnages en demi-bosse, n’ayant qu’une moitié de tête et de corps.

Les décors aussi sont parfois truqués, comme des boîtes à double fond, pour produire des effets que les changemens à vue, si rapides fussent-ils, ne sauraient rendre : l’incendie qui pénètre en un clin d’œil dans la salle du festin, au cinquième acte du Prophète, consiste en cadres de toile peinte, subitement rabattus sur les châssis, que le feu semble ainsi lécher de toutes parts. Pour figurer la transparence des eaux immobiles, on se sert de glaces posées à terre et légèrement inclinées. Des vitres, éclairées en dessous par des lampes, constituent un lac que la bonne fée pourra passer à pied sec. Le tissu argenté, que l’on agite mollement au bord d’une toile glauque, représente l’écume des vagues mourant sur le rivage.

L’Océan en courroux se laisse moins bien copier. On faisait naguère circuler, sous une étoffe couleur de mer, une vingtaine de gamins armés de baleines qu’ils agitaient de leur mieux. Ces acteurs, à dix sous par tête, remplissaient leur rôle avec nonchalance et donnaient lieu à d’intempestives accalmies ; en ce cas, le légendaire Harel, directeur de la Porte-Saint-Martin, accourait et, de deux ou de trois coups de pied adroitement distribués, ranimait la « fureur des flots. » Les ondes marines en calicot sont mues aujourd’hui par des boisures sinueuses qui se soulèvent et s’abaissent parallèlement. C’est plus sûr, mais plus monotone, et la tempête manque un peu d’imprévu.

Pour la contrefaçon des bruits multiples de la nature, l’imagination des régisseurs, sans cesse en éveil, invente chaque année du nouveau. Les plaques de tôle secouées et les grosses caisses de deux mètres de long, frappées de baguettes, singent le tonnerre plutôt mal que bien ; mais la sirène, sorte de pompe où l’air est refoulé avec violence, rappelle assez exactement les sifflemens du vent. Une roue, à palettes de bois, rencontre en tournant des lames de fer et donne de loin le son d’une brisure, celui des arbres qui cassent et se rompent avec fracas. En frottant vigoureusement avec un gros clou une plaque de métal