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de talent ; il donne à certaines imitations un cachet de vérité que les objets réels eux-mêmes, avec l’optique du théâtre, ne posséderaient pas. Pour les effets aquatiques, par exemple, les gazes lamées, striées de rubans d’étain, rendent mieux l’aspect de la cascade ou du torrent que l’eau naturelle, qui laisse passer les rayons lumineux et ne s’éclaire pas. Aussi l’a-t-on partout abandonnée.

C’est ici le domaine des « trucs » autant que celui de l’art. Nous sommes devenus sur ce chapitre plus raffinés que nos ancêtres : au début du règne de Louis XIV, on jouait à Rouen une tragédie intitulée la Mort d’Abel. Un des acteurs faisait le personnage du « sang d’Abel ; » enfermé dans un sac de satin rouge, il était roulé de derrière le théâtre et criait : « Vengeance, vengeance ! » Ce procédé ingénieux nous paraîtrait trop simple. Les féeries nous ont blasés sur les efforts d’imagination déployés en ce siècle, pour renouveler périodiquement l’intérêt des aventures du roi Croquignolet XXXVIII, par une succession de tableaux magiques, fantasmagoriques et panachés de trucs inédits. Ces trouvailles sont la raison d’être d’un genre à qui nous devons les Pilules du Diable, le Pied de Mouton ou la Biche au Bois.

Fidèle à de saines traditions, le Petit Chaperon Rouge nous montrait tout récemment la « maison de ma Mère-Grand, » montée sur galets excentriques, s’avançant du fond de la scène vers le trou du souffleur : à mesure qu’elle approchait, elle s’exhaussait et s’élargissait de plus en plus. A l’acte précédent un groupe de voyageurs semblaient parcourir des sites infiniment variés, en allant de droite à gauche du théâtre ; cependant, leur marche ne les menait à rien, placés comme ils étaient sur une bande de planches roulant en sens inverse ; tandis qu’un rideau de fond, qui paraissait immobile, déroulait à côté d’eux un panorama de 250 mètres de long.

Dans une pièce à spectacle, on compte souvent jusqu’à deux cents trucs, grands ou petits, tassés dans les dessous, où leur multiplicité rend le travail difficile. Les acteurs jouent-ils une scène d’ivresse et finissent-ils par déclarer qu’ « ils y voient double, » à ce mot, le brigadier-machiniste, l’oreille au guet, donne aux six hommes qui l’entourent le commandement de : « Allez partout ! » Chacun d’eux tire ou lâche les fils qu’il tient en main, et aussitôt surgissent du sol, à côté des tables, chaises et autres meubles garnissant la scène, d’autres objets exactement semblables,