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belles choses dont Dieu est l’auteur et qu’il conserve dans le ciel comme éternellement dignes de ce séjour. Vous devez comprendre combien me sont importunes les agitations au milieu desquelles je suis obligé de vivre, à moins de renoncer aux devoirs de toute ma vie. Je ne livre qu’une partie de mon âme à notre monde agité, et je la reprends pour la rendre à notre pauvre amie, ce que je fais en vous écrivant pour vous parler d’elle. Ah ! si vous étiez encore à Paris, combien de fois vous me verriez pour pleurer l’adorable amie que nous avons perdue ! À défaut de votre maison, je vais à Auteuil pour me trouver dans une maison obscure, pleine de deuil, pleine d’Elle, chez sa nièce pour qui elle avait été la meilleure des mères. Je suis là en pleine souffrance, cent fois mieux que dans les lieux où l’on parle, du reste, de nobles intérêts, ceux de notre pauvre pays engagé par des maniaques, des fous, dans les écueils où il a naufragé tant de fois. Ah ! si vous étiez encore à Paris, comme votre société me serait chère, combien j’y retournerais pour penser, parler avec vous d’un seul objet, celui qui nous a tant occupés et m occupera jusqu’à la fin de ma vie. Pardonnez-moi ces épanchemens, les seuls qui conviennent à l’état de mon âme, et écrivez-moi bien souvent, bien souvent d’un seul être : celui que vous et moi avons tant aimé. Adieu, adieu, conservez-moi votre souvenir, car vous avez tout le mien. — À vous de tout cœur. — 27 juin 1877.


IX

Son inaction lui avait beaucoup pesé, car il ii avait écrit l’histoire des autres que pour se mieux préparer à en faire une lui-même, et il voyait avec dépit les années s’écouler sans lui en apporter l’occasion. Il croyait aussi que la vie ne cesse d’être un fardeau que lorsqu’on s’oublie en agissant fortement. Enfin le voilà de nouveau en selle. Il a fini son grand livre, il est tout à fait disponible d’esprit ; il est député, il a à sa disposition une tribune redevenue retentissante. On s’interrogeait avec curiosité dans certains milieux, et avec inquiétude dans d’autres, sur ce qu’il allait faire. Serait-il un homme nouveau ou recommencerait-il l’homme ancien ? Sous Louis-Philippe il en était resté à l’opposition systématique et à la politique de la fanfaronnade[1].

  1. Sur cette première partie de la vie de Thiers. voyez Emile Ollivier, l’Empire libéral, t. Ier, p. 421.